Oklahoma, au début des années 1920. La découverte de pétrole sur les terres du peuple Osage, amérindiens installés ici depuis toujours, a rendu très riches ces derniers. Et par la même occasion marqua le début de leur fin, attirant la convoitise de blancs sans scrupules, prêts à tout pour s'emparer de cet or noir. Quitte à tuer.
7 ans après «Silence», Martin Scorsese nous revient au cinéma du haut de ses 80 ans avec cette adaptation de l'ouvrage homonyme de David Grann (inspiré d’événements réels), et signe avec elle son œuvre la plus politique.
Quelque part entre la fresque intimiste (m'ayant un peu rappelé, de par ce qu'elle dégageait parfois, un certain «La Porte du Paradis» de Cimino), le western et le film noir, une nouvelle page sombre et sanglante de l'histoire américaine, très peu connue du grand public.
L'histoire d'une manipulation et d'une trahison. D'un côté, celle de toute une tribu qu'on a tenté de rassurer pour mieux s'en débarrasser par la suite, et cela dans une indifférence quasi-générale, sans qu'une enquête soit menée. De l'autre, celle de Mollie Burkhart, une amérindienne qui s'est éprise d'un "beau diable" blanc, à qui elle a tout donné, en particulier sa confiance. Une confiance qui ne lui a jamais réellement été rendue.
Loin de la frénésie visuelle d'un «Casino», Scorsese impose un rythme plus posé, plus lancinant à l'ensemble de son film, et cela à travers une mise en scène toujours aussi millimétrée, accompagnée d'un travail de reconstitution très soigné.
Une forme de classicisme narratif et formel à l'intérieur duquel le poison qui a été inoculé se propage petit-à-petit dans tous les recoins du film, jusqu'à sembler inarrêtable.
Une œuvre anti-spectaculaire où ce qui marque le plus n'est pas la violence visuelle, mais ces traditions améridiennes, mises en avant comme rarement. Et surtout ces discussions, ces face-à-face qui montrent nos protagonistes dans toute leur ambiguïté, leur monstruosité, leur vérité.
Une œuvre où le casting, composé en grande partie de natifs américains, est au centre du dispositif et de l'histoire mise en place par son réalisateur.
Leonardo DiCaprio, pris entre le respect qu'il a pour son oncle William et l'amour qu'il porte pour sa femme Mollie, incarne un personnage toute en ambiguïté, bourreau influençable, lâche et aimant.
Lily Gladstone, présence hypnotique et désarmante de spontanéité, porte sur ses épaules le deuil de son peuple et de sa famille, et devient la victime de celui qu'elle aime, pour finalement se reconstruire et le confronter une dernière fois.
Et la cerise sur le gâteau revient à Robert De Niro, impressionnant en vieux patriarche a priori bienveillant avec ses "amis" Osages, mais en réalité homme d'affaires impitoyable, veillant au grain pour que l'argent continue à couler à flots...et toujours dans son sens.
Une fresque tragique et imposante, mais pas tout à fait le chef-d’œuvre attendu. La faute à une histoire qui aurait pu être racontée en un peu moins de temps, des longueurs se faisant clairement ressentir au cours des 3h26 que durent le film (en particulier dans ses 2 premiers tiers. Le rythme s'améliore quand le FBI débarque) ; une musique un peu trop envahissante dans des scènes qui n'en avaient pas besoin ; et certaines mimiques un peu poussives et répétitives de DiCaprio.
Quelques défauts certes, mais qui n'enlève (presque) rien à la force évocatrice de ce très bon film, et comment aurait-il pu en être autrement au vu des forces en présence ?
Un projet qui tenait beaucoup à cœur à Scorsese, à l'image de ces derniers mots prononcés et lourds de sens.
Une œuvre sincère à l'intérieur de laquelle la voix d'un peuple éradiqué et oublié résonne enfin et est entendue.