3h26 de cinéma de très grande qualité, « Killers of the Flower Moon » est le dernier cadeau de Martin Scorsese au cinéma. Comme je m’y attendais, Scorsese étant une qui il est, il n’y a qu’une seule chose à redire sur son long, très long métrage… c’est justement sa longueur. Même brillant, même hyper maitrisé, même passionnant, « Killers of the Flower Moon » est trop long. Parce que pour le reste, c’est une fresque ambitieuse sur l’Amérique et des démons. Parfaitement mise en image, avec des plans magnifiques, un rythme constant, une musique parfaitement discrète mais bien utilisée, et une reconstitution très ambitieuse d’une petite ville du Sud au début des années 20. On appréciera particulièrement les magnifiques costumes indiens que les femmes portent quasiment en permanence (et que les raciste appellent avec mépris « les couvre-lits »). Sur la forme, rien à redire donc et j’ajoute même que les 10 dernières minutes sont étonnantes de créativité et d’originalité. Le film est trop long mais sa conclusion est magnifique, décalée et pleine de poésie. Quant à la toute dernière image, elle est juste sublime. Tout cela n’est pas loin de constituer une « masterpièce » de mise en scène. Scorsese est également impeccable dans la direction d’acteur. On connait bien à présent Léonardo DiCaprio et sa façon très intense de composer ses personnages. Ici, il a le rôle le plus difficile, celui d’un homme moins détestable que pathétique. On n’arrive pas à le détester vraiment alors qu’il commet des actes atroces, mais il les commet par faiblesse.
Ernest Burkart est un homme peu instruit, sans grande force de caractère. Influencé par son oncle qui est tout le contraire (intelligent, calculateur, totalement cynique), il est son instrument et il est fatalement amené à en payer le prix.
Je comprends qu’on puise trouver par moment que DiCaprio surjoue un petit peu, il a toujours abordé ses rôles avec une intensité qui peut flirter avec le cabotinage, dans certaines scènes il est un peu à la limite du « too much ». Mais cela reste pour lui un rôle immense et, je pense, très difficile dont il se sort avec les honneurs. Robert de Niro, en patriarche tranquille, fort de son impunité, c’est le vrai méchant du film. Sans jamais s’énerver, sans jamais élever la voix, juste par le choix de demi-mots et par les regards, il impressionne, il menace,
il commandite des meurtres odieux.
La vrai révélation pour moi c’est Lily Gladstone qui donne corps à une Molly toute en délicatesse et en pureté. Avec son air doux et presque impassible, elle est magnifique. C’est une indienne Osage fière, amoureuse (pour son plus grand malheur),
trahie, empoisonnée,
marquée par le deuil mais d’une dignité qui impressionne. Il y a également quelques jolis seconds rôles, un tout petit peu effacés, tenus par Jesse Plemons ou Brendan Fraser (et ça fait plaisir de le revoir). « Killers of the Flower Moon » est une fresque qui dépeint avec une vraie virtuosité une certaine Amérique, celle du capitalisme triomphant et de ses relations complexes avec les Amérindiens (faite d’un mélange étrange de culpabilité et de racisme). Le destin a voulu que les Osages soient installés sur une éponge gorgée de pétrole, qu’ils en tirent des richesses, qu’ils emploient même des domestiques et des ouvriers blancs, cela ne pouvait que causer leur perte. D’ailleurs, tout riches qu’ils soient, ils sont restés malgré tout des citoyens de seconde zone sous tutelle, ils n’ont pas les mêmes droits que les blancs sur leur propres compte en banque. Même en Amérique, l’argent ne peut pas tout acheter. Le sort des Amérindiens, c’est le péché originel des Etats-Unis. Pendant les siècles précédents, les tuniques bleues les massacraient ouvertement lors de guerres indiennes pour s’accaparer leur terres. En 1920, pour s’accaparer leur pétrole, il faut être plus pervers, plus cynique et surtout plus discret :
on épouse les femmes indiennes et on les élimine les uns après les autres de l’intérieur pour au final hériter du pactole.
C’est le cœur du film, l’appât du gain couplé au racisme décomplexé, une certaine idée d’une certaine Amérique. Intéressant aussi de souligner que la question raciale est complexe car,
désemparés par l’accumulation des morts, les Osages envisage de demander de l’aide… au Klu Klux Klan, voilà qui est déroutant !
« Killers of the Flower Moon » dépeint avec une efficacité et même une flamboyance indéniable un pays qui est loin d’avoir expié son péché originel, celui de s’être construit sur la violence et la confrontation entre les peuples. Pas de doute, le dernier film de Martin Scorsese est un grand film… de presque 3h30.