Avec Doctor Sleep, Mike Flanagan avait une lourde pression sur les épaules : donner suite au film de Stanley Kubrick et se réapproprier l’oeuvre de Stephen King. Chose qu’il arrive à faire grâce à son amour pour le cinéma de genre et une mise en scène inventive.
Bizarrement, Doctor Sleep a presque quelque chose de sympathique car on sent tout de suite l’amour du réalisateur pour l’épouvante et ses codes : c’est un entre deux, qui à la fois touche mais qui par certains aspects, force également le respect. De prime abord, nous ne nous trouvons pas dans le grand-guignolesque de franchises comme It 2 ou même Conjuring, qui vouent un culte pour les jumpscares outranciers. Mais inversement, nous sommes aussi loin de la sècheresse horrifique d’un Ari Aster ou de la science claustrophobe d’un Robert Eggers. En ce sens, Mike Flanagan reprend, à de nombreux niveaux, les facettes de ce qui avait fait le succès de sa dernière série The Hauting of Hill House : une mise en scène travaillée, idéalement cadrée, faisant coïncider ce raffinement artisanal avec des idées de cinéma percutantes (un beau jeu sur les ombres ou l’arrière plan) puis une atmosphère changeante, faite d’un perpétuel changement de ton, qui fait déambuler le film entre compréhension des traumas horrifiques, apparition viscérale de l’horreur et « survival » tout en tension.
Pourtant, malgré les références (le livre de Stephen King et le film de Stanley Kubrick), Mike Flanagan ne croule jamais sous la pression et arrive à faire de ses multiples hommages, une force visuelle comme en témoigne tout ce début de film avec le jeune Dan (la séquence de l’ouverture de porte de la chambre 237) encore poursuivi par cette morte qui voulait voler son « shining ». Car si la première partie de film, lancinante, même si trop statique, s’intéresse plus à la vie de Dan, adulte, essayant tant bien que mal d’oublier les cicatrices de son enfance et de combattre son alcoolisme notoire, ou de faire disparaître les fantômes de son passé, l’autre moitié de Doctor Sleep s’avère être un jeu du chat et la souris asphyxiant entre la jeune Abra, devenue une proie à la denrée rare, et Rose et toute sa bande assoiffées du « shining » de jeunes enfants au don inexpliqué.
Cette dernière, une sorte de groupuscules de « vampires modernes » est l’une des forces majeures du film, notamment grâce à l’interprétation de Rebecca Ferguson. D’ailleurs, le meurtre du jeune garçon jouant au baseball sera le point départ de la deuxième partie de film : scène sacrificielle glaçante, déroutante et visuellement marquante. Tout aussi paradoxal que cela puisse paraître, la cavalcade vécue entre Dan et Abra face à la horde démoniaque de Rose Chapeau, fait parfois penser à Logan de James Mangold, non pas dans l’intrigue ni les caractéristiques, mais dans cette visualisation d’une jeunesse au pouvoir certain, se faire potentiellement charcuter par un monde bien sombre et sanguinolent. La magnifique scène de lévitation, l’incroyable premier face à face entre Rose et Abra, cette fusillade en pleine forêt, ou même les scènes de « repas » du « shining » des victimes, font de Doctor Sleep, une oeuvre de cinéma qui n’en oublie pas son sens du spectacle et qui promet aux spectateurs de bons moments .
Certes, Doctor Sleep manque de cette complexité horrifique, semble parfois trop rigide, sage et appliqué pour donner une étoffe supérieure à des thématiques comme la peur, l’angoisse de l’au-delà ou même de la solitude face à l’inéluctable mais c’est d’une oeuvre à une autre, dans le passage de flambeau d’un personnage à un autre, que le film puise sa véritable capacité à s’interroger sur le passé, la peur de s’affirmer et le poids des fantômes : à l’image de toute cette séquence finale, mémorielle à l’Overlook Hotel. Il est inutile de comparer les œuvres entre elles et il est difficile de savoir si l’élève aura dépassé les maîtres ; cependant, il aura rendu une copie plaisante etrecommandée, qui respecte autant les créations de ses aînés qu’il a l’envie de s’en écarter pour faire briller son propre « shining ».