En sortant de la projection de "Mommy", j'ai envie de renouveler ce compliment que je voulais déjà adresser à Dolan pour m'avoir fait chialer devant "Laurence anyways" : "Tu sais injecter de la tripe dans le cadre et la remuer, cette tripe." On ne sort pas vraiment indemne de tels films, à moins d'être tout à fait hermétique à cinéma lyrique et plein d'emphase (musicale, surtout) de Dolan. Avec sa traditionnelle "scène de colère hystérique" qui fournit systématiquement un climax à ses réalisations (elles abondaient déjà dans "J'ai tué ma mère", dont "Mommy" semble être le jumeau à peine moins complaisant et impudique - ceci n'est pas vraiment une critique, en fait), nous sommes boxés par le jeu naturaliste de ses acteurs (fétiches : sublime Anne Dorval, déjà maman dépassée dans "J'ai tué ma mère", retrouve à un rôle symétrique dans cette opposition délétère à son adolescent sujet au TDAH ; quant à Suzanne Clément, elle renoue admirablement là avec la fibre intense et émouvante qu'elle avait déjà déployée dans "Laurence anyways" et qui faisait en grande partie le charme de cette comédie romantique atypique). Des acteurs magnifiquement dirigés, donc, et qui transcendent là des rôles déjà intrinsèquement puissants, que n'aurait probablement pas reniés Cassavetes, autre (grand) maître de l'intensité, gros plans brûlants et des cadres claustrophobiques. On pourra - et on devrait, même - déplorer ce recours (trop) systématique à la musique (pop), qui allonge le film autant qu'il le surligne inutilement et lui confère hélas un caractère post-adolescent... ce que Dolan, d'ailleurs, ne l'oublions pas. Pas étonnant qu'il puise alors dans une culture musicale caricaturale un exhausteur d'émotion à des scènes qui n'en ont pas toujours besoin. Mais avouons que, lorsque cela fonctionne, c'est tout bonnement bouleversant (cf. la séquence finale de "Laurence anyways" sur fond du "Let's go out tonight" déchirant de Paul Buchanan revisitant magistralement son Blue Nile.) Xavier Dolan a raison de croire perpétuer là la tradition d'une Jane Campion en écrivant, à la suite de "La Leçon de piano" ou de "Un Ange à ma table", d'autres grands rôles féminins. Il est peut-être bien en train de s'imposer comme le cinéaste qui rend hommage à la force et au courage des femmes authentiques.