Alain Resnais aura travaillé jusqu’au bout. Et quand la mort est venue le cueillir ce 1er mars, à 91 ans, après quelques 65 années de carrière, il se projetait déjà dans un nouveau film. Dans plusieurs même - son carton à idées, paraît-il, était plein. Je veux croire que c’est cette exceptionnelle longévité, cette faim de cinéma jamais rassasiée, qui a motivé les jurés du prix Alfred Bauer à la dernière Berlinale. Ledit prix est censé récompenser "un film ouvrant de nouvelles perspectives", et j’avoue qu’en sortant de projection j’ai longtemps cherché lesquelles. Ce ne pouvait pas être l’audace du dispositif de tournage (des comédiens devant un décor ultra stylisé, dépouillé à l’extrème), "Thérèse" et "Drawing by numbers" étant déjà passés par là. Pas plus que le mélange des genres (ici le mix cinéma, théâtre, musique et bande dessinée), Resnais l’ayant déjà pratiqué et de façon moins minimaliste. Alors quoi ?!.. Et puis j’ai trouvé, enfin je crois, je vous livre le truc pour ce qu’il est : On peut faire un film d’une absolue laideur, le cinéma parfois est plus fort, quelque chose continue de passer ! Ça en ouvre des perspectives, non ?! "Aimer boire et chanter" est cet objet paradoxal. D’emblée, le générique annonce la couleur : Plus moche, y’a pas. Une image fixe d’une petite route du Yorkshire, une diapo tremblante sur laquelle un méchant bandeau noir (RIP ?) voit défiler les principaux crédits, au rythme de la musique espiègle de Mark Snow. Première cadence : on s’approche d’une maison et hop, zoom dans un dessin de Blutch, et rehop on passe en studio. Décor en toc (pelouse et fleurs artificielles, bois et carton, toiles peintes, les portes des maisons s’ouvrent comme l’arrière-réserve de mon Franprix), je sais c’est exprès, mais la lumière de Dominique Bouilleret fait bien le reste – tout le monde ne peut pas être Eric Gautier. La mise en scène est réduite au minimum, se reposant sur son canevas et répétant pour chaque scène le même motif, route/maison/dessin/studio. Manifestement, Alain Resnais ne s’intéresse qu’à ses acteurs. Il les filme très plan plan - le découpage est d’une surprenante économie, accentuant s’il en était encore besoin l’évidence du théâtre filmé. De temps à autre, un gros plan fait un sort à la plus belle tirade : Le comédien est filmé pleine face, sur un fond crayonné de Blutch du plus terrible effet. Ces images sont actuellement ce qu’on peut voir de pire sur un grand écran, de la vidéo comme on n’en fait plus, le genre d’antipub à vous faire fuir les labos et autres boites de FX qui ont collaboré à ce dernier Resnais. Tant de laideur… et pourtant, je l’ai dit, quelque chose passe. Le cinéma c’est du jeu. Et si cette fois les bricolages ludiques du cinéaste, son obsession à titiller la forme, échouent aussi visiblement, son attention aux acteurs continue de porter. Super investi, très inventif aussi, son remarquable sextet (mention particulière à la nouvelle venue, Sandrine Kiberlain) joue avec une jubilation communicative cette partition d’un autre âge. Le dernier Resnais est un film mineur, mais c’est le dernier et je m’en désole.