Fable de l’amour impossible, Pas son genre hésite longtemps entre beaucoup de choses, maladroitement coincé quelque part entre La vie d’Adèle, pour la lutte de classes, et Bienvenue chez les Ch’tis, pour la farce provinciale. Visiblement mal à l’aise avec son sujet, qui est pourtant la principale force de son film, Lucas Belvaux semble longtemps faire étrangement tout pour ne pas être pris au sérieux, au risque d’un flou artistique à peu près total. S’il n’y réussit heureusement pas complètement, cela ne suffit pas à vraiment sauver un film qui ne fait rien pour être aimé.
Si Pas son genre ne mérite sans doute pas d’être excessivement encensé ou démoli, peu de films m’ont au final laissé aussi perplexe une fois le clap de fin tombé. Au-delà de sa qualité intrinsèque, loin d’être exceptionnelle, il me semble en effet que le dernier film de Lucas Belvaux est l’exemple parfait d’un quiproquo artistique total, dialogue raté entre l’auteur et son public. Explications.
Pendant une bonne heure, Pas son genre semble être un film d’une stupidité presque totale, caricature à peu près complète du bon peuple et de la province. Flirtant sans cesse avec un mépris social assez insupportable, notamment grâce à l’interprétation quasi grotesque d’une Émilie Dequenne qui nous a pourtant habitués à mieux question crédibilité, le film de Lucas Belvaux débite tous les clichés possibles et imaginables sur le petit peuple de province, forcément naïf et sympathique, et le parisien type, forcément hautain et spirituel. Dans cet exercice de style franchement affligeant, étant en plus mis en scène avec autant de doigté qu’un épisode de Joséphine ange gardien, tout semble alors prêter à sourire et les signaux sont au vert pour pouvoir gentiment se foutre de la gueule de cette pauvre gourde d’Émilie Dequenne, bien gentille mais un peu coconne, et la salle ne s’en prive alors pas (bah oui puisque qu’à Paris on est du bon côté de la farce…). Malaise de mon côté, mais certains ont alors l’air de beaucoup s’amuser. C’est vrai que c’est marrant de tirer sur des ambulances.
Et c’est là que Lucas Belvaux perd à mon sens ses spectateurs, qui l’ont certes bien mérité parce que le panneau est franchement gros, et se perd finalement en partie avec son film. Car Lucas Belvaux n’a bien sûr pas voulu seulement réaliser qu’une farce de boulevards sur les amourettes provinciales d’un jeune et brillant philosophe parisien (difficile au passage pour les « provinciaux » de ne pas encore plus détester Paris avec des films de ce genre), et le tournant dramatique arrive finalement quand on ne l’attend presque plus, gavé de scènes plus pénibles les unes que les autres. Et là plus personne ne dit rien dans la salle, parce qu’on s’est bien foutu de la gueule de cette pauvre petite et on se rend maintenant compte qu’on ne vaut pas mieux que ce cher philosophe. Magie du cinéma, qui n’est finalement qu’un grand miroir.
Si les choses ne s’arrangent pas complètement, le regard de Lucas Belvaux sur son héroïne restant très condescendant, ce ton résolument dramatique donne à son film un peu de la profondeur qu’il fuyait jusque-là désespéramment. En mettant régulièrement en scène le malaise social s’installant entre les deux amants, il offre également la possibilité à Émilie Dequenne d’enfin sortir de la caricature dans laquelle elle était enfermée pour entrer dans un registre de la détresse qu’elle maîtrise au contraire sur le bout des doigts, ce qui permet en grande partie au film d’échapper au complet raté vers lequel il semblait se diriger. Si tout cela reste précaire et que cette dernière partie n’a rien non plus d’un chef d’œuvre, ce retournement de style a au moins le mérite de rétablir l’équilibre entre ses deux héros, et surtout de réhabiliter son héroïne durement traitée jusque-là.
Il ne répond en revanche pas à la question de savoir si Lucas Belvaux a intentionnellement massacré la première partie de son film juste pour que le style colle au caractère de son héroïne, alors dépeinte comme la dernière des idiotes. Que ce soit volontaire ou pas, Pas son genre nous laisse donc au final avec cet étrange paradoxe : bien que très largement raté, il n’en est pas moins un véritable objet de réflexion, et ça n’est déjà pas si mal. Reste toutefois l’impression d’une forme de gâchis, et d’avoir raté quelque chose de plus beau et de plus grand. Tant pis.