Adaptation de la BD éponyme, saluée en son temps pour sa pertinence de ton quant à la vie quotidienne au sein du Ministère des affaires Etrangères, "Quai D’Orsay" est l’une des vraies bonnes surprises de l’année 2013. Pourtant, le film ne démarre pas forcément sous les meilleures auspices avec un Thierry Lhermitte poussif (et pas forcément très juste) et un univers assez excluant. Pourtant, on se rend vite compte que cette introduction ne pouvait pas être différente au vu du sujet abordé par ce "Quai d’Orsay" qui met en exergue le fonctionnement bureaucratique et souvent assez absurde d’un Ministère. A travers les yeux d’un nouvel arrivant, à savoir Arthur (campé par l’excellent Raphaël Personnaz). Le personnage est, évidemment, le référent du spectateur et le film trouve sa vitesse de croisière à mesure qu’Arthur prend ses marques au sein du Quai d’Orsay. Et c’est peu dire que l’univers qui est proposé est particulièrement dépaysant et riche en situations ubuesques. En tête, on retiendra, sans surprise, le Ministre (joué par un Thierry Lhermitte incroyable), inspiré de Dominique de Villepin, qui ne ressort pas forcément grandi du film. Ses obsessions souvent délirantes (son goût pour les marqueurs fluo, ses idées fixes – et pourtant changeantes - sur la structure d’un discours…), ses exemples inattendus ("vous avez lu Tintin ? ") et ses citations d’Héraclite donnent au film ses scènes les plus drôles. Pour autant, le réalisateur Bertrand Tavernier prend le parti de ne pas ridiculiser totalement le Ministre puisque, parallèlement à ses excès, il dresse le portrait d’un homme déterminé et courageux, ce qui confère au personnage une complexité intéressante et humanise sa nature théâtrale. Autre personnage extraordinaire, le Directeur de Cabinet Maupas (joué par un Niels Arestrup fantastique et césarisé) qui impressionne par son détachement de façade (parfaitement complémentaire avec la suractivité du Ministre), offrant d’autres séquences mémorables au film (ses micro-siestes ou son air faussement désolé quand il envoie Arthur au charbon), mais aussi par son influence. L’aura de ces deux personnages irradiants ne doit, cependant, pas faire oublier le héros du "film" Arthur, qui semblait bien parti pour n’être qu’un simple faire valoir sans grand intérêt, mais qui réussit à exister grâce à sa maladresse et son jusqu’au-boutisme. Quant au reste du casting, il réserve quelques bonnes surprises, même si j’ai davantage apprécié les apparitions surprises de Didier Bezace en écrivain qui veut insuffler de la complexité, de François Perrot en père du Ministre ou encore de Jean-Paul Farré en poète que les autres membres du Cabinet (Julie Gayet, Thierry Frémont, Thomas Chabrol, Bruno Raffaeli…) qui n’ont rien à se reprocher mais qui ne bénéficient pas de la folie des autres personnages. Ainsi, "Quai d’Orsay" doit beaucoup à la richesse de ses personnages et de son univers (souvent absurde mais visiblement crédible) ainsi qu’à la qualité de ses dialogues, parfaitement ciselés et souvent très drôles… ce qui n’était pas gagné pour un film qui raconte l’histoire de l’écriture et de la récriture d’un discours ! Mais le film peut, également, se vanter de bénéficier d’une mise en scène inventive qui fourmille de grandes idées (les arrivées du Ministre annoncées par des feuilles de papier qui s’envolent, le montage calé sur les dialogues du Ministre au cours de ses monologues…) et qui a l’intelligence de ne pas trop s’étendre (le sujet n’aurait pas forcément supporter une durée plus longue). Seul regret, néanmoins : le final est trop peu mis en valeur et conclut le film de façon trop abrupte… alors que la lecture du discours devant l’ONU était censée être le point culminant du film. Cela ne suffit pas à gâcher le film qui, certes, reste assez excluant pour peu qu’on ne s’intéresse pas du tout à la politique, mais qui sait prendre intelligemment ses distances avec les comédies habituelles en traitant, avec drôlerie et subtilité, un sujet peu commun sur grand écran.