On le sait depuis "Barton Fink" : les frères Coen excellent dans la comédie dépressive. "Inside Llewin Davis" appartient à ce genre, une veine très particulière dans leur filmographie pour le moins éclectique. Les deux frères déroulent à nouveau leur mise-en-scène élégante et fluide. On leur reprocherait presque de ne pas forcer leur talent ! Comme en athlétisme, ces coureurs à la foulée ample, déliée, qui surclassent leurs challengers avec une facilité rageante. Mais la déception de certains fans (il y en a pas mal ici dans les critiques spectateurs) tient, je crois, à autre chose : Pour la première fois, les Coen n’utilisent ni leur goût de la dérision, ni leur sens du burlesque. Ils suivent avec une empathie surprenante, très premier degré, les tribulations de leur héros. Un musicien à la mélancolie poisseuse, qui foire tout ce qu’il touche. Et, qui plus est, pas très sympathique. Alors c’est vrai, ça fait beaucoup d’un coup : un film dépressif, consacré à un looser, un type même pas aimable, et tout ça sans le secours de l’humour déjanté qui est la marque habituelle des frangins. Mais qu’on se rassure : de l’humour, il en reste, on rit beaucoup, mais sur un mode plus tendre, plus low profile. Le film raconte 5 jours dans la vie de Llewin Davis, personnage fictif, inspiré d’une obscure figure de la scène folk new-yorkaise des années 60. L’histoire s’ouvre et se termine sur la même séquence : Lewin chantant devant le public d’un café de Greewich Village, avant de se faire dérouiller dans l’arrière-cour. La même scène, à un détail près : Lewin n’était pas seul en scène. A la fin seulement, les frères Coen nous donne à voir et entendre le type qui lui succède, un débutant dont on reconnaît illico la coupe de cheveux et la voix nasillarde : Bob Dylan ! "Inside Llewin Davis" parle aussi de ça : de ce qui fait qu’un musicien accède à la célébrité et qu’un autre, pourtant talentueux, ne sortira jamais de l’ombre. Llewin Davis est incontestablement un guitariste et un chanteur doué, auteur aussi de textes à la poésie improbable (des histoires de princesse morte en couches, de nuées de poissons d’argent). Pas suffisant peut-être, surtout quand on n’y croit pas soit même, et qu’on aide autant la malchance. Llewin rate tout ce qu’il entreprend - en amour pareil, il n’est jamais le bon mec pour la bonne fille. Mais à la fin, on comprend : C’est son intransigeance qui le tue, ce type est un pur. Voilà déjà 2 semaines que j'ai vu le film. Un Cohen mineur, ai-je même pensé en sortant. En fait, non : un Cohen en mode mineur qui, depuis, continue de m'accompagner. Un grand film.