Bercée dans ces couleurs sombres, ces couloirs interminables,ces escaliers épuisés, la maison close renferme ses secrets. Elle y enferme ces femmes, nues, ancrées dans des tableaux desquels elles ne peuvent plus sortir. Et elle y enferme aussi ces hommes, venus les contempler, les caresser, s'amuser de leur nature quasi-inhumaine.
En tant que spectateur nous avons le "privilège" de franchir les murs de cette maison pour suivre ce groupe de femmes au quotidien. Un quotidien réglée de manière totalement décalée, qui ne respire que la nuit, encore que ce soit dans une ambiance étouffée.
Entre épuisement, lassitude, espoir et désespoir, elles sont liées les unes aux autres à travers de relations fortes et sincères. Elles forment une famille qui essaient de partager le peu de choses qu'elles peuvent partager, qui essaient de vivre le peu de choses qu'elles peuvent vivre.
Pourtant à mesure que les minutes avancent leur malaise devient sans cesse plus profond. Transformées en véritables objets par les hommes, elles ne peuvent que simuler des sourires, prétendre être comblées au cours de ces longues soirées où les va-et-vient deviennent incessants. Elles séduisent, elles vendent leurs corps, elles montent, elles redescendent, elles ne cessent de se mouvoir au bon vouloir des hommes et de leur gérante.
Elles deviennent des poupées qui ne font que subir, qui deviennent inutiles quand elles ne sont plus capable d'offrir quoi que ce soit. Leur monde est cruel et pourtant si intimiste, les décisions se font sur des détails, sur un tas de cartes ou un autre.
On retrouve d'ailleurs toujours le thème du jeu, et on en comprend la métaphore. Les femmes de la maison close sont des jouets dont le destin de chaque se retrouve dans les mains d'autrui. Que ce soit les jeux sexuels ou les jeux classiques, elles ne sont maîtresses de rien. Beautés bafouées et tournées en objets de désirs sexuels, par des hommes avec lesquels elles entretiennent des fausses relations, qu'on ne comprend jamais véritablement.
La sexualité est par ailleurs dépeinte avec beaucoup de finesse. Le plaisir y est totalement proscrit pour faire naître un seul sentiment : Le dégout.
Ces corps nus sont filmés avec beaucoup de souplesse, et la continuité filmique donne cette sensation de tumultes constants, dans ces trajets entrecroisés (mis en évidence par des split screen) qui ne reflètent que la manière qu'ont ces femmes d'être traînées une à une aux quatre coins de la maison.
C'est un monde de faux-semblants, où elles doivent porter ce masque continuellement en espérant pouvoir un jour le retirer, même si elles savent cela impossible. Les actrices transmettent toute leur peine au travers de regards perdus, du dépit qui se lit dans leurs mouvements. Leurs discussions elles-mêmes paraissent toujours bancales, elles rient, elles essaient de s'amuser mais on sent toujours ce malêtre les habiter. On a d'ailleurs du mal à réellement comprendre qui elles sont : Elles sont tellement usées et utilisées qu'elles ne doivent même plus se connaître elles-même.
Condamnées dans un labyrinthe étroit où aucune pitié ne s'immisce, le long-métrage se poursuit sur un rythme lent, troublant et profondément sombre. Les rires et les musiques, l'alcool ou les parfums, rien ne vient perturber cette enlisement dans la déchéance.Et quand le physique n'est plus là pour satisfaire des envies sexuelles, il satisfait des envies différentes, qui négligent de plus en plus l'identité de ces femmes. Désignées comme idiotes ou phénomènes de foires, leur passé ou leur futur n'importe jamais. Seul leur présent reste. Un présent maussade, qui apporte avec lui une multitude de scènes malsaines, qui révèlent un désarroi profond.
Mais malgré un casting honnête, une profondeur artistique touchante et un trouble constant, j'ai du mal à m'être senti envouté par l'histoire. Il est bien maîtrisé en soi, de bout en bout, plutôt intelligent et cohérent avec ce qu'il s'engage à représenter. Pourtant je me suis retrouvé absent à plusieurs reprises, comme si le rythme imposé, uniforme dans son esprit négatif m'a plombé et m'a fait lâcher prise. Je crois que le vide émotionnel que rencontrent ces jeunes femmes a fini par me vider moi aussi, et je n'ai pas su y puiser une quelconque satisfaction.
Ça reste du bon cinéma, mais du cinéma auquel je n'ai pas su adhérer, pour des raisons qui doivent être uniquement personnelles. Il y a beaucoup à dire sur la réalisation de Bertrand Bonello, de cette histoire, mais je n'en ai pas la force et ne serait-ce que de replonger dans les deux heures de film pour y dégager une "critique" s'est révélé vraiment éprouvant.