Comme la plupart des adaptations récentes de jeux vidéos en films, "Uncharted" pose une vraie problématique : quel besoin de porter au cinéma un jeu qui se base lui-même sur les archétypes d'un genre cinématographique pour les transcender par le plaisir évident d'y intégrer le joueur et de lui en mettre plein les yeux via une expérience visuelle propre à son médium ? Si l'on transpose ce cycle cinéma-jeu vidéo-cinéma typique d'un serpent qui se mord la queue sur un plan disons... "alimentaire", cela revient à ce que quelqu'un mange un plat, le régurgite après digestion et passe au chinois ce qu'il en reste pour s'en nourrir à nouveau.
Le dernier film "Resident Evil" dans le domaine de l'horreur ou "Tomb Raider" version 2018 que l'on peut rapprocher a priori de "Uncharted" sont là pour le prouver : les longs-métrages engendrés par cette chaîne invraisemblable ne débouchent que sur des produits sans âme, maximisant sans queue ni tête les clins d'oeil aux jeux dont ils sont issus et l'imagerie qui leur est propre sans savoir quoi proposer en vue de se démarquer à la fois de ces derniers (avec respect) et au sein même des genres cinématographiques sur lesquels ils reposent. On s'était dit que "Uncharted" allait suivre le même chemin -comprendre aller droit dans le mur- mais le film de Ruben Fleischer va étonnamment s'en tirer mieux que ses aînés sur ce terrain.
Alors, soyons clairs, comme prévu, "Uncharted" n'est pas un film conçu pour bouleverser le cinéma d'aventure puisque, on l'a dit, il est issu d'une série de jeux qui en condense elle-même les codes en amont. Toutefois, ici, son statut plutôt malin de prequel va lui permettre de raconter une aventure présentée comme inédite de la franchise tout en se réappropriant le meilleur de la formule de ses récits et des temps forts qui en ont fait le succès.
Évidemment, "inédite" est un bien grand mot, on prend même peur durant les premiers instants où le prologue dévoilant déjà un des deux gros morceaux de bravoure du film, décalque d'un passage culte des jeux, laisse la place à un flashback également copié-collé sur la jeunesse de Nathan Drake, ce qui se veut être des clins d'oeil tient plus de coups de coude brutaux aux fans. Mais, plutôt que de continuer sur cette lancée pas très inspirée, "Uncharted" va finalement se mettre à raconter sa propre histoire, celle d'un Nathan Drake plus jeune dans sa première grande escapade d'aventurier, en s'insérant dans la structure de celles croisées dans les jeux, l'esprit décontracté entre humour et péripéties improbables de ses personnages et les débordements habituels à d'autres genres (le film de casse notamment). Non sans toujours des clins d'oeil (ils sont désormais plus habiles comme avec "la voix"), "Uncharted" emprunte et se réapproprie ce qui a été déjà fait dans les jeux mais ne le copie plus stricto sensu, cherchant une voix médiane entre l'originalité et le duplicata sur grand écran.
Tous les passages obligés (vol, trahisons, énigmes, explorations, etc) et certaines têtes connues dont on était en droit d'attendre la venue (sublime Sophia Taylor Ali dans le rôle de Chloé) sont donc bien présents mais ils sont toujours réfléchis pour être détournés d'une manière à offrir quelque chose qui se détache au moins un chouïa du jeu sans le trahir. Pour preuve, alors qu'elle s'intègre parfaitement dans ce qui est l'essence même d'un "Uncharted" par la folie du "ring" sur lequel elle a lieu, l'impressionnante bataille finale repose sur une idée qui est cette fois bel et bien étrangère à ce qui a été déjà fait à l'intérieur de la franchise.
Bref, on a enfin une adaptation d'un jeu vidéo qui a compris ce qui faisait le succès de la marque sur ce support et qui a la bonne idée de le réadapter à sa sauce dans un spectacle très respectueux et capable par sa proposition d'entre-deux de séduire aussi bien les néophytes que les inconditionnels des "Uncharted" (je les ai tous platinés pour ma part).
Pour autant, est-ce là à dire que l'on tient le Saint-Graal des adaptations de jeux vidéos ? Non, tout n'est bien sûr pas heureux de ce point de vue. Les développements axés sur les personnages sont incontestablement le gros point faible du film en tombant, eux, dans la redite sans saveur de leurs modèles, la relation Nathan/Sully tient par exemple de la répétition anecdotique malgré quelques sourires et tout ce qui entoure le camp des vilains est famélique au possible avec un Antonio Banderas ne sachant pas trop lui-même ce qu'il fait là (quelques surprises changeront la donne par la suite néanmoins). Et puis, la chasse au trésor en tant que telle apparaît bien plus faible dans son cheminement que la plupart de celles narrées par les jeux, d'autant plus que le film ne s'aventure pas sur le versant extraordinaire associé aux fins de quêtes de Nathan Drake (on n'en dira pas plus, ils doivent nous réserver ça pour l'avenir), ce qui la rend de fait bien plus oubliable à l'arrivée.
Enfin, il y a la réalisation de Ruben Fleischer, terriblement fonctionnelle, avec un montage empêchant toute velléité de souffle épique de prendre sa pleine mesure comme lors de l'acte final dont on sent l'énorme potentiel visuel sans qu'il ne se concrétise vraiment à l'écran.
Plus que tout, c'est peut-être ce dernier élément qui nivelle "Uncharted" au rang de film d'aventure mineur car on aurait probablement été plus à même de pardonner les autres défauts si l'émerveillement visuel des jeux s'était mieux fait ressentir à l'image.
Cela dit, et c'est beaucoup trop rare pour ne pas être signalé, "Uncharted" réussit le tour de force d'être à la fois un fidèle portage de jeu vidéo sur grand écran et un divertissement efficace le temps de sa durée (les 2h passent sans ennui). Et, si vous aviez des doutes sur Tom Holland vis-à-vis de sa capacité à rendre justice au rôle de Nathan Drake, l'énergie dépensée du bonhomme pour endosser les habits de celui qui est devenu un des plus célèbres aventuriers imaginaires modernes (en plus d'une ressemblance physique au fil du film que l'on n'avait pas forcément vu venir) devrait emporter votre adhésion.