Clivant à l'extrême, ce n'est évidemment pas ce film qui réconciliera critiques professionnelles et grand public. Pater n'en demeure pas moins une pure oeuvre d'avant-garde assez fascinante. Le mélange réalité/fiction n'est pas neuf, mais jamais il n'a été poussé aussi loin, jamais avec tant de dépouillement et d'audace... Car il en faut de l'audace pour oser proposer ce type d'ovni dans notre époque contemporaine qui méprise de plus en plus ouvertement l'élitisme culturel. Certes, Cavalier et Lindon sont des bourgeois qui font mumuse avec une caméra, je ne nie pas, mais réduire Pater à cela c'est être au minimum très feignant du cerveau... L'ouverture est déjà incroyable : gros plans sur des assiettes d'antipasti, qu'on regarde complètement hypnotisés... Et la suite regorge de scènes qui, en toute bonnes logique, devraient être insupportables ou planter le film, mais qui fonctionnent ! Par exemple cette scène incroyable en plan large fixe où Vincent Lindon s'excite sur son propriétaire...par quel miracle, par quel magie arrive-t-elle à nous scotcher ? Plus le film avance, plus la fiction semble gagner du terrain, au point que les acteurs commencent à se prendre au sérieux dans leur rôle... ou font semblant de se prendre au sérieux, comme les acteurs qu'ils sont...On ne saura jamais, et c'est absolument génial ce doute permanent. Quand Lindon fait la gueule dans la seconde moitié de Pater, est-ce le premier ministre fâché contre son président ou est-ce l'acteur impulsif fâché par son réalisateur ? On ne saura pas non plus. Et le plus incroyable, c'est que la fiction est sans arrêt attaquée par la réalité, mais pourtant finit par l'emporter : ainsi, on s'intéresse vraiment au destin et à l'évolution du président et du premier ministre, à leurs discours, à leurs actes, alors qu'à chaque instant on nous rappelle qu'il ne s'agit que d'un tournage ! Une expérience rare, un vrai cadeau offerts aux cinéphiles !