''Outrage'' est le 15ème film du grand Takeshi Kitano. Il renoue avec le genre de prédilection de Kitano : le film de yakuza. Genre qu'il avait abandonné depuis 10 ans avec ''Aniki, mon frère'' (2000) pour se consacrer à des réalisations plus légères (comme ''Achille et La Tortue'' en 2008). On peut se demander pourquoi Kitano décida de retourner à ce qui fit sa gloire et pourquoi tout simplement avait-il délaissé ce genre de film. La réponse, le réalisateur japonais la donne dans sa présentation du film : ''Fondamentalement, j'ai commencé par réaliser des films violents et je suis devenu célèbre sous cette étiquette, ce qui m'a agacé et m'a poussé vers des genres différents. Mais tourner d'autres films m'a donné envie de regoûter à la violence.[...] On m'a souvent posé la question : « Pourquoi ne réalisez-vous plus de films violents ? ». Les gens les aiment beaucoup. Là je me suis dis que ce film était tellement violent qu'on ne me demanderait plus d'en réaliser !''. C'est donc par cynisme, pourrait-on dire, que Kitano a réalisé ''Outrage''. Est-ce la raison de la mauvaise réputation du film, qui fut mal reçu par la presse et le public ?
L'histoire ? Euh... Elle est assez complexe. L'organisation mafieuse Sanno règne sur Tokyo. Ikemoto, membre de cette organisation trafique avec Murase, un ancien compagnon de prison. Mais Murase n'étant pas membre de l'organisation, on déconseille à Ikemoto de continuer avec lui ses affaires. Pour atténuer les soupçons du du chef de la Sanno, Ikemoto charge son acolyte, Otomo, de s'attaquer à Murase. C'est le début d'une longue série de meurtres, de trahisons et de manipulations...
La première chose à dire concernant ''Outrage'', c'est que c'est un film très différent et pour ne pas dire en totale contradiction avec les œuvres précédentes de Kitano. Evidemment, c'est une nouvelle fois une histoire de yakuzas avec crimes, coups bas etc. Mais ''Outrage'' n'a plus grand chose à voir avec ''Sonatine'' (1993) ou ''Aniki, mon frère'' (2000). ''Sonatine'' marquait par son rythme étrange, lent et ponctué d'explosions de violences tandis que ''Aniki'', plus classique montrait la solidarité et l'amitié qui unissait des yakuzas à des gangsters noirs de Los Angeles. La vision de ce monde de gangsters japonais était aussi poétique qu'irréaliste, aussi comique que tragique. Quant aux personnages, ils étaient tous hauts en couleur. Et ''Outrage'' ? Il se situe à l'opposé. La poésie s'est dorénavant envolée et Kitano nous plonge dans une grande exécution où les repères que l'on s'était construit avec ses films antérieurs s'effondrent. Dans ''Outrage'', plus de lenteur à la Sergio Leone, plus de gag décalé, plus de beaux personnages, rien que de la chair, du sang et de la violence. Le monde que présente le réalisateur est glacial, ultra-violent ; les longs silences et le caractère infantile des gangsters des œuvres précédentes sont anéantis et remplacés par des bavardages et des gangsters manipulateurs et assoiffés de pouvoir et d'argent. ''Outrage'' dévore tout : ses spectateurs, ses personnages, son réalisateur (et ses films réalisés autrefois). Le monde lui-même n'a plus aucune beauté, tout est uniforme et ce malgré les nombreuses divisions de clans. Ce que réussit totalement Kitano, c'est de montrer que ce monde, quelque soit les différents agissements des protagonistes, est complètement uniforme. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Kitano refuse, contrairement à une grande de majorité de films sur la mafia, à créer un vrai personnage principal (et un héros encore moins). Personne n'émerge vraiment d' ''Outrage'', même pas Otomo qui a notre attention simplement parce qu'il est joué par Kitano lui-même. Dès les premiers plans, ces thématiques sont en place : un long travelling qui balaie les visages de tous ces mafieux (qui est ici le personnage principal?) et ces plans où toutes les voitures quasi-identiques des yakuzas sont côte-à-côte (qui se trouve dans telle voiture?). Un monde uniforme mais aussi vain, où la mort est partout. Un yakuza en tuera un second, avant de se faire dézinguer par un troisième... et vice et versa. Mais il n' y a pas de fin. Il ne peut y avoir de fin.''Outrage'' est en fait le film le plus analytique de Kitano qui dresse un portrait au vitriol de ce monde, ce qui, au fond, est assez inédit, puisque les films précédents de son auteur étaient des films avec des yakuzas, et non sur les yakuzas. Faut-il voir là la raison du changement total d'ambiance qu'apporte ''Outrage'' (par rapport à ''Sonatine'') ? La musique est bien représentative de ce changement. Le piano et les violons lyriques de Joe Hisaichi (qui s'est hélas brouillé avec Kitano sur le tournage de ''Dolls'' en 2003) ont cédé la place à une musique beaucoup plus métallique, au synthé, plus légitime pour cette évocation tranchante et sans concession aucune.
Si le sujet est intéressant et que Kitano le traite bien, dommage que la mise-en-scène n'ait rien de bien transcendante. Certains plans sont bien vus et plutôt réussis (comme ceux cités ci-dessus ou encore une utilisation de la roulette du dentiste particulièrement... mordante) mais le film pâtit d'une absence d' approche artistique... du moins par rapport à ce que peut faire Kitano. La photo, à l'unique teinte bleutée, est en accord avec le thème de l'uniformisation mais manque en toute logique d'originalité. Kitano aurait véritablement pu pousser encore plus loin ses partis pris esthétiques.
Enfin, il est à noter que, curieusement, ''Outrage'' renoue avec le tout premier film de Kitano : ''Violent Cop'' (1989). Et, plus précisément, avec le dernier quart d'heure de ''Violent Cop'' où se succédait un amoncellement de violence, dénué de toute poésie. On peut ainsi mettre ''Sonatine'' et ''Hana-Bi'' (1997) ensemble, les deux films étant liés par leur poésie et leur beauté. ''Violent Cop'' et ''Outrage'' sont à ranger dans une autre catégorie : celle de la violence aride et sèche dénuée de toute esthétisation. C'est ce qui fait d' ''Outrage'' un film difficile, un peu inégal mais où la laideur envahissante fait toute la beauté du film : une beauté putride.