Journal de bord d'un spectateur du "Dernier voyage du Demeter"
24 août 2023
La salle se retrouve plongée soudainement plongée dans l'obscurité. À l'écran, les quelques encarts contextuels et un flashforward rappelant le destin funeste du Demeter nous contaminent également de leur noirceur, posant d'emblée une ambiance pesante véhiculée par la simple aura de la créature séculaire qu'ils convoquent. Dracula.
Les quelques pages du chapitre "Journal de Bord du Demeter de Varna à Whitby" issues du célèbre roman de Bram Stoker connaissent en effet aujourd'hui une nouvelle adaptation, après ce qui est probablement le meilleur (le deuxième) des trois épisodes de la série "Dracula" de Netflix. Cette fois, ce passage épistolaire se retrouve développé sous le format d'un long-métrage de près de deux heures, mis en scène par le norvégien André Øvredal qui, certes, n'a jamais rien fait de mieux que son premier film "Troll Hunter" mais qui, en vrai artisan attaché au genre, réapparaît à la tête de projets fantastique/horreur toujours intrigants et valant le coup d'oeil ("The Autopsy of Jane Doe", Scary Stories" ou "Mortal"). Le voir se frotter à un tel mythe, dont le nom traverse les décennies et les médias pour être encore connu de tous en 2023, ne peut que donner envie découvrir sa propre itération autour de cette figure sanguinaire traversant ici les flots à bord du Demeter, de sa Transylvanie natale aux côtes anglaises...
Outre les ténèbres que l'évocation du vampire distille dans son sillage, le film nous emporte avec brio et simplicité dans l'agitation quotidienne d'un port bulgare à la fin du XIXème siècle, s'ancrant dans une forme de véracité historique -et donc rationnelle- pour nous introduire aux membres de l'équipage qui seront bientôt face à l'innommable. Ne perdant pas de temps et faisant preuve d'un vrai savoir-faire pour dessiner un éventail de protagonistes aux vicissitudes efficacement exprimées (le docteur, le capitaine et son second en sont le trio directeur réussi, très bien campés respectivement par Corey Hawkins Liam Cunningham et David Dastmalchian), le film nous enferme assez vite dans le huis-clos de son vaisseau isolé en haute mer, imprégné par une atmosphère toujours plus dominée par la présence irrésistible de sa menace dissimulée dans les cales.
Évidemment, le sort du Demeter et de ses passagers étant pratiquement joué d'avance, le film d'André Øvredal va quelque part faire tout ce que l'on peut attendre de lui, c'est-à-dire faire monter en puissance les attaques de son Dracula à chaque nouvelle nuit de la traversée. Mais "Le Dernier Voyage du Demeter" va surtout le faire bien, s'inspirant d'une plus belles références en matière de longs-métrages angoissants en vase-clos : "Alien" premier du nom.
Avec son Demeter/Nostromo des temps anciens et son équipage de marins/victimes devant s'adapter à une forme de vie tout autant inconnue que carnassière, la reprise du schéma de cette référence incontournable prend ici tout son sens, les effluves de son climat perpétuellement anxiogène vont en plus bénéficier des connaissances complices du spectateur sur la bête à affronter en vue de malmener au maximum les nerfs de ses potentielles victimes. Et, à ce petit jeu, on peut dire qu'André Øvredal mène sacrément bien sa barque durant la majeure partie de la traversée, ne dévoilant que progressivement la silhouette de son prédateur (en mode incarnation bestiale) sur un terrain de chasse désormais fondu dans les recoins les plus sombres du Demeter d'où il peut à n'importe quel moment de la nuit surgir pour croquer une ou deux jugulaires. La tension exponentielle ressenti par les passagers déteint pleinement au-delà de l'écran, d'autant plus qu'Øvredal utilise de façon judicieuse quelques éléments du lore du vampire avec l'objectif de renouveler la nature de ses attaques et en maximiser certains effets de surprise plutôt bien pensés dans ce contexte.
En plus de personnages principaux révélant des facettes humaines touchantes dans l'épreuve où, bien entendu, vont se mêler parfois leurs points de vues divergents sur la manière de régler la situation (foi contre science, fuir ou faire face, etc) et des comportements extrêmes, il faut enfin signaler que le film n'hésite pas à mettre véritablement tous les passagers du Demeter au même niveau face au danger qui rôde, n'hésitant pas aller bien plus loin en ce sens que la plupart d'autres productions du même type pour réduire les humains au seul rang de proies devant leur prédateur.
Malgré toute l'efficacité brute de cette démarche se résumant à un jeu du chat et de la souris teinté de relents gothiques (jusqu'à la forme débouchant sur de superbes plans d'horreur maritime), il faut bien reconnaître que les pics d'adrénaline provoqués par ce "Dernier Voyage du Demeter" s'étiole dans son dernier tiers, sans doute devant la trop longue durée du film.
Parfois trop redondante au sein de ses phases diurnes (vous ne pouvez pas fouiller ce bateau de fond en comble en une fois, punaise ?!) et ne trouvant plus le même équilibre salvateur entre les passages à l'action et le temps des échanges, la dernière partie délivrera néanmoins encore de bons moments quant au sort intime réservé à certains protagonistes ou durant les ultimes attaques plus spectaculaires de la bête mais la tension qui avait tenu la barre du film d'une main décharnée jusque-là n'aura définitivement plus la même force, ne s'exprimant plus que par quelques soubresauts qualitatifs dans lesquels il manquera le feu d'artifice final auquel le film aurait pu prétendre... Même si l'épilogue, bien pensé, donnera malgré tout envie d'y revenir pour continuer à côtoyer ce Dracula n'ayant peut-être pas encore révélé toutes ses facettes.
Les lumières se rallument en même temps que la très bon score de Bear McCreary résonne une dernière fois à nos oreilles. Le "Dernier voyage du Demeter" s'est achevé mais la légende de Dracula, elle, continue bel et bien de se perpétuer grâce à lui.