Gemini Man est avant tout une expérience visuelle : qu'on le voit dans les conditions optimales de sa sortie au rythme de 120 images/seconde ou sur un écran normal avec une vitesse de diffusion habituelle, il lui restera des qualités esthétiques certaines et un sens aigu de la mise en scène. Ang Lee oblige, le travail de réalisation est à couper le souffle lors des scènes d'action, jusqu'à faire écho, lors du premier combat dans les escaliers, à l'oeuvre d'un autre grand réalisateur du genre, l'influent Tsui Hark.
Cette séquence n'est pas sans renvoyer au superbe Time and Tide et à son travelling mythique suivant la descente en rappel d'un de ses héros (sans toutefois l'égaler) : le décors et ses couleurs, le professionnalisme des personnages et l'ultra-spectaculaire réaliste y renvoient immédiatement, donnant une sorte d'alternative américaine au travail du réalisateur Hong-kongais . Si la ressemblance est sympathique, Gemini Man n'en demeure pas moins un film profondément indépendant et novateur, aux expérimentations réussies complétées par des chorégraphies tout à fait convenables.
Ang Lee n'ayant jamais (ou très rarement) déçu dans son travail, il amène une lisibilité originale au cinéma d'action, proposant une alternative rafraîchissante et jouissive à l'esthétique désormais banale de John Wick, qui proposa un temps du neuf pour se voir repompé depuis par une grande partie d'oeuvres opportunistes incapables de reproduire le dynamisme de ses chorégraphies et de ses scènes de combat (qu'elles soient aux poings ou aux armes à feu).
Il se pose ainsi au milieu des films de super-héros et autres long-métrages bourrins érigés en hommage aux années 80 avec cette fraîcheur esthétique poussant ses séquences d'action jusqu'aux sommets possibles de ce que Lee peut faire : un face à face tendu dans des escaliers, une course en moto menée tambour battant, un affrontement final tout en flammes et en tirs précis qui n'est pas sans faire penser à un mélange entre le type de climax des années 90 et l'esthétique déjà citée de John Wick.
C'est paradoxalement dans ces séquences, clairement les plus intéressantes et prometteuses, que se remarque l'un de ses principaux défauts : la présence étouffante des effets spéciaux (on se souvient de la moto roulant sur le toit du camion), qui l'ont déjà fait vieillir à peine sorti, sort le spectateur du film en lui rappelant constamment, par son visage trop lisse et son inconstance surprenante, que le jeune Will Smith incarne plus une prouesse technique servant à rendre le film unique qu'un personnage véritablement fouillé, qu'on ne peut pas voir autrement que comme un personnage fonction élevant le concept du scénario au delà des propositions habituellement simplistes du genre.
Et parce qu'il se contente d'un concept intéressant pour attirer les spectateurs, Gemini Man ne se casse jamais la tête à mieux approfondir ses idées, à rendre plus complexe son histoire afin de déboucher sur un twist loin d'être aussi ridicule et simplet que celui proposé : si l'expérience n'est pas sans faire penser à beaucoup de choses, notamment à une évolution technique et jouissive de ce qui se faisait de mieux dans les années 80-90, il en écope la plupart des défauts en se rabattant tout seul dans le statut peu convoité de série b au potentiel gâché.
La révélation, à ce point évidente que de nombreuses théories germent dans la tête du spectateur (théories bien plus palpitantes, logiques et cinématographiquement passionnantes), laisse bouche-bée : les possibilités de voyage temporel, de faille spatio-temporelle, de terre parallèle ou même de surréalisme non expliqué totalement annihilées par une histoire de clonage des plus attendues gâche totalement une oeuvre à la fois attendue pour ses visuels et la complexité de son scénario (du moins de sa révélation finale).
Vous ne pourrez en retirer qu'un divertissement agréable mais sans grande ambition, tandis que son idée de départ avait de quoi le projeter au delà de tout ce qu'on a pu faire de commun dans un sous genre cinématographique nécessitant des idées neuves approfondies de façon talentueuse. Si vous y verrez de sacrés progrès esthétiques, vous regretterez surement d'être passé à côté de ce qu'on pouvait imaginer comme le Total Recall des années 2010.