Pourquoi s’obstiner à remplir les secondes d’un nombre impressionnant d’images quand l’intrigue, quand les retournements scénaristiques, quand le sous-texte scientifique s’avèrent aussi pauvres ? Un film n’est pas et ne doit pas être un exercice de remplissage, encore moins une performance technologique autotélique qui n’aurait comme raison d’exister que sa démarche pseudo-révolutionnaire. Or, Gemini Man fonce tête baissée dans une avalanche de situations convenues et indignes des pires séries Z tournées avec l’épargne retraite des grands-parents : là où il pense impressionner par son sens du spectaculaire, il ne fait qu’appuyer l’inertie de son geste artistique. Devant les coups de moto portés au visage du vieux Will Smith, on rit, mais on rit ! Devant l’exhibition de brochures pour des voyages aussi factices que les images numériques censées les figurer, on rit, mais on rit ! Devant le lifting de Will en ce jeune homme imberbe qu’il n’a jamais été et dont le visage reflète l’environnement extérieur à force d’être lissée, retouchée, falsifiée, on rit, mais on rit ! Le souci, c’est que ce rire marche de pair avec une lassitude qui va crescendo jusqu’à recouvrir l’ensemble du long, trop long-métrage d’Ang Lee. Dialogues minables, prestations catastrophiques – les acteurs ont dû se dire que les retouches sur ordinateur corrigeraient leur « jeu », erreur… –, musique horripilante. Et que dire de la mise en scène, vaste déballage de gadgets pour salon du numérique, sinon qu’elle est dépourvue d’âme ? Rien ne respire, rien ne transpire : les coups portés ne sont pas ressentis, les accélérations laissent indifférents, les décélérations ennuient davantage. Boursouflure technologique aussi inutile qu’embarrassante, Gemini Man atteste bien l’impasse dans laquelle se trouve tout un pan du cinéma d’action contemporain : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Voyez, Rabelais le disait déjà, et ça ne date pas d’hier.