Le moins qu'on puisse dire, c'est que la famille Vuillard ne va pas bien. Il y a d'abord la mère, Junon, au prénom annonciateur de querelles, qui assume de ne jamais avoir aimé son fils Henri, et qui à l'évocation de celui qui est mort à 7 ans, ne trouve rien d'autre à dire que "Il était si laid quand il était petit". Il y a ensuite l'aînée dépressive et mélancolique, mère qui se définit comme stérile et qui décrète et obtient de facto le bannissement de son frère. Il y a donc Henri, mauvais fils et mauvais frère désigné, escroc à la petite semaine, suborneur et ivrogne. Il y a ensuite Simon, le neveu recueilli par Abel et Junon, schizophrène alcoolisé, jamais remis d'avoir abandonné Sylvia à son cousin Ivan. Il y a enfin Paul, adolescent à la limite de l'autisme, qui cherche la reconnaissance de l'oncle honni et qui n'a le droit de sa part qu'à "Paul le Fou ? Il est complètement con !".
Le seul qui semble traverser les tempêtes est Abel, patriarche au prénom trompeur, qui sur la tombe de Joseph déclare "La souffrance est une toile peinte", et qui décrète devant les déchirement de ses enfants "Ce ne sont pas nos affaires", préceptes qui le protègent des différentes déclinaisons de la névrose familiale. Ce thème des secrets de famille apparaît dès l'origine dans le cinéma de Desplechin, puisqu'il définissait "La Vie des Morts" comme "un film pour dire du mal de ma famille", et que son dernier film et premier documentaire, "L'Aimée", montre son père lors du déménagement de la maison familiale.
A la fois attiré et inquiété par la énième sélection cannoise de Desplechin, et par le décalage habituel entre la critique française (unanime) et l'accueil (contrasté) du public sur les différents blogs et forums, j'ai mis un certain temps -et du temps, j'en avais devant moi !- à décider si j'aimais ou non ce "Conte de Noël", virée dans le Nord aux antipodes de celle de Philippe Abrams. Dans la colonne "plus", il y a un début attractif et inventif, avec la narration multiforme de la geste familiale, qui fait appel à la voix off, au témoignage face caméra des protagonistes et même au théâtre d'ombre. Il y a aussi la distribution impressionnante, où seul Melvil Poupaud fait figure de bizuth au milieu de la troupe des anciens : Amalric, Devos, Deneuve, Roussillon, Consigny, Girardot ou Mastroianni. Et puis, il y a l'indiscutable maîtrise de la réalisation, avec le recours à toutes les techniques du cinéma, y compris les plus anciennes : ouverture et fermeture à l'iris, faible profondeur de champ, travellings optiques, split screen...
Pourtant assez vite, la colonne "moins" a commencé à se remplir : la dispersion des intrigues (le conflit Elizabeth/Henri, la relation sans amour d'Henri et de sa mère, l'émancipation de Paul, la découverte par Sylvia du sacrifice de Simon...), le schématisme de certaines situations (le judaïsme intolérant de Faunia -qui s'exclame à propos de Madeleine : "Quel prénom bizarre !"-, la tabagie systématique des personnages), le côté artificiel de nombreux dialogues bien trop littéraires. Mais le pire est sans doute la longueur et la dilution du récit, que ne contrebalance pas le découpage en chapitres. Progressivement, on se détache de ces pantins cyclothimiques, quelque soit la qualité du jeu des acteurs, et monte l'agacement devant l'intellectualisme d'un autre âge qui soutend le propos et sur lequel s'extasie la critique parisienne.
Je prends le risque à 24 h de la proclamation du palmarés : je ne suis pas persuadé que la Palme d'Or (annoncée par la presse hexagonale, beaucoup moins par son homologue internationale) attribuée 21 ans après "Sous le Soleil de Satan" au film de Desplechin serait une bonne chose pour le cinéma français. Ce serait une encouragement à limiter celui-ci à son fond de commerce éternellement post-nouvelle vague, alors que les cinémas du monde entier, en Amérique latine, en Asie et ailleurs en Europe explorent depuis longtemps d'autre voies que ces chemins d'un autre âge.
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