De la même façon que la nuit du 14 au 15 avril 1912 est une date incontournable inscrite dans la mémoire de tous, le "Titanic" de James Cameron est un incontournable dans le monde du 7ème art. Pourtant, je me souviens de cette sorte d’ironie qui régnait autour de ce film simplement parce qu’il semblait idiot d’aller voir un film dont on en connaissait la fin, d’autant plus que ce qui était alors la plus grande catastrophe maritime (pensez donc : plus de la moitié des personnes à bord a péri !) a été porté à l’écran à plusieurs reprises, pas toujours avec succès. Nous sommes le 10 avril 1912 : le Titanic, fleuron de la flotte de la compagnie maritime White Star Line, appareille pour une première traversée commerciale de l’Atlantique pour relier Southampton à New York, fort de son luxe, de son confort, de sa rapidité, et de sa technologie censée le rendre fiable à toute épreuve avec ses 16 compartiments étanches. Jusque-là, rien de nouveau, hormis le grand soin apporté à l’esthétique visuelle. La caméra de James Cameron montre toute la majestuosité de ce gigantesque paquebot, magnifiquement imposant, duquel se dégage une puissance sans aucune mesure avec ses quatre cheminées proéminentes. Un paquebot qui suscitait autant d’inquiétude que d’émerveillement par sa taille. Personnellement, je me suis toujours demandé comment une telle masse pouvait flotter sans aucune difficulté. Cela force l’admiration, tout de même ! Soucieux de traiter au passé ce tragique événement provoqué par la course à l’échalote sans limites consistant à posséder le plus grand, le plus luxueux, le plus rapide, le meilleur paquebot du monde, James Cameron a choisi de raconter ce naufrage par l’intermédiaire de flashbacks qui occuperont la quasi intégralité du film. C’est alors que nous sommes invités à suivre les recherches de l’épave, auxquelles va venir se joindre une vieille dame nommée Rose (superbe Gloria Stuart) pour conter son histoire de rescapée. Et c’est au prix de superbes transitions allant des images de plongée aux images reconstituées que nous allons vivre son histoire à la fois tragique et magnifique. Car la vraie bonne idée ne réside pas dans le fait de retracer uniquement la catastrophe, mais de l’agrémenter d’une romance inoubliable. Par ces transitions, nous pouvons mesurer l’importance des recherches qui ont été menées. Car malgré quelques anachronismes mineurs, le souci de reconstituer le paquebot jusque dans ses moindres détails a été poussé à son extrême. Ainsi nous pouvons voir la suite telle qu’elle a réellement existé, ainsi que la salle de réception. Nous y retrouverons aussi les moquettes et les canots de sauvetage, que les fournisseurs d’alors ont consenti à apporter pour compléter ce souci d’authenticité. On y retrouvera quelques anecdotes, comme l’enfant qui joue avec sa toupie, ou l’orchestre qui aurait effectivement continué à jouer jusqu’au dernier moment. Mais filmer au préalable une épave reposant à 3843 mètres de profondeur n’était pas simple, et surtout très coûteux, aussi tous les décors ne sont pas exacts, puisque le grand escalier est largement inspiré de l’Olympic. Peu importe, l’illusion est parfaite, y compris dans la reconstitution dans le golfe du Mexique du paquebot à 90% de sa taille réelle. Outre l’immersion en 1912 offerte par ce film, "Titanic" ne serait pas ce qu’il est sans les superbes interprétations des acteurs : d’abord Gloria Stuart, qui parvient à susciter en nous bien des émotions qu’on peut voir concrétisées sur les visages de son assistance lors de la narration de son histoire ; ensuite Kate Winslet, irrésistiblement jolie à croquer dans le consortium maquillage/coiffure/costumes d’époque/bonnes manières/psychologie du personnage, et qui nous fait tomber malgré elle (et malgré nous) sous son charme quand elle a cette façon si sensuelle d'ouvrir ses lèvres soit pour prendre une inspiration, soit parce que les mots ne sortent pas ; sans oublier Leonardo DiCaprio en jeune irlandais au regard intense qui ne doute de rien, sûr de sa bonne étoile, et qui n’a de toute façon rien à perdre ; mais il faut penser aussi à Billy Zane qu’on se surprendra à aimer détester, lui et son homme de main (David Warner) ; ou encore à Ewan Stewart dans la peau du 1er officier Murdoch qui perd les pédales. En fait, ce qui est remarquable, c’est cette capacité d’avoir réussi à mêler avec autant de facilité les personnages de fiction avec les personnages historiques dont la ressemblance pour certains est troublante, notamment le capitaine Smith (Bernard Hill). Quoiqu’il en soit, on a beau connaître le terrible sort du paquebot, nous sommes pris malgré nous dans cette belle histoire d’amour, et les effets spéciaux sont si impressionnants que nous ne pouvons qu'être admiratifs devant la grandeur d'un tel bâtiment, dont on prend la mesure lorsque d'autres embarcations à côté sont réduites à l'état de coquille de noix, ou par la traînée qu'il laisse derrière lui. Le résultat est si bluffant qu'on a l'impression que le vrai Titanic a été filmé ! Grâce à ces mêmes effets spéciaux, nous passons par des sentiments d’effroi lorsqu’on voit les corps chuter lourdement alors que le bateau se quille à la verticale, nous surprenant nous-mêmes à retenir nous aussi notre souffle quand enfin le bateau finit par sombrer définitivement, et même à frissonner, non pas de froid comme les personnages, mais de voir l’ampleur de la gravité de la situation. Malgré cette volonté de bien faire, tout n’a pas été facile. Le budget initial de 110 millions de dollars a été largement dépassé, pour atteindre les 200 millions provoquant une telle inquiétude de la société de production que James Cameron lui-même a annoncé renoncer à son salaire et à ses royalties pour se donner le droit de faire aboutir son projet titanesque. Tout n’a pas été simple non plus pour les deux acteurs principaux, puisqu’ils ont été contraints de jouer dans l’eau glacée afin que les tremblements et les lèvres cyanosées soient véridiques. Tout le monde s’est donné beaucoup de mal, et je crois qu’on ne peut qu’être admiratif devant cette immense organisation, cette formidable cohésion pour nous donner un tel résultat. Et que dire du montage ? Avec tout ce que le réalisateur a filmé, il avait de quoi nous offrir 12 jours de spectacle ! Alors si les 194 minutes peuvent être rebutantes pour ceux qui ne connaissent pas encore ce chef-d’œuvre, celle longue durée paraît bien courte en sachant cela, et encore plus courte en regardant ce film. Porté par une partition désormais mondialement connue du regretté James Horner, "Titanic" est un monument du 7ème art de la même façon que le Titanic était un monument du monde maritime, justement récompensé par une multitude de prix dont 11 Oscars (et pas des moindres) sur 14 nominations.