Attention, cet article contient des spoilers. Il est nécessaire d’avoir vu le film avant de le lire.
Pendant près de 3h30, Martin Scorsese nous relate l’histoire derrière le meurtre du syndicaliste Jimmy Hoffa à travers le regard de son probable assassin, Frank Sheeran. Celui qu’on appelait à l’époque l’Irlandais (The Irishman) confesse à l’écran pourquoi et comment il s’y est pris. A la fin du film, nous retrouvons un Frank Sheeran vieillissant, délaissé dans une maison de retraite, où il attend patiemment que la Faucheuse vienne l’accueillir. Mais non sans avoir rencontré avant un prêtre pour expier ses peines. Dans l'un des derniers plans du film, il lui demande de laisser la porte entrouverte : la caméra effectue alors un plan fixe, tandis que De Niro lance un dernier regard à la caméra. Mais pour nous dire quoi ?
Théorie n. 1 : Scorsese, De Niro et les autres n’en ont pas fini avec nous
The Irishman est un projet de longue date. En 2010, des rumeurs annonçaient déjà les retrouvailles entre De Niro, Scorsese et Pesci, ainsi que la participation d’Al Pacino au projet. Il faut dire que les deux derniers n’étaient plus aussi actifs qu’avant dans le milieu. Du haut de ses 76 ans, Joe Pesci n’avait plus tourné depuis 2010 (Love Ranch) et n’a accepté de sortir de sa retraite que pour retrouver ses vieux amis. Quant à Al Pacino, il ne jouait que dans des films indé qui n’ont pas fait grand bruit. Que dire aussi de De Niro qui n’a pas tourné dans un grand film depuis bien longtemps ? Et pourtant, cette porte ouverte et ce regard caméra pourraient nous dire une chose : "vous n’en avez pas fini avec nous". Avec The Irishman, ce trio d’acteurs nous prouve qu’ils n’ont rien perdu de leur grandeur et qu’ils en ont encore sous le coude, pour nous faire vibrer !
Est-ce aussi une manière de dire qu’ils laissent la porte ouverte à une nouvelle collaboration ? Seul le temps nous le dira.
Théorie n. 2 : Le mystère Jimmy Hoffa n’a pas été résolu
Cette porte ouverte peut aussi signifier autre chose : que le voile sur le meurtre de Jimmy Hoffa n’a pas encore été levé. Scorsese adapte en effet dans The Irishman le livre "J'ai tué Jimmy Hoffa" écrit par Charles Brandt. C’est ce dernier qui a recueilli le témoignage de l’ancien homme de main avant sa mort et qui l’a synthétisé en un livre choc. Pourtant, cette version de l’histoire a été remise en doute depuis : rien ne prouve, si ce n’est ce témoignage, que Frank Sheeran a effectivement tué Jimmy Hoffa. Surtout qu’avant de rencontrer Charles Brandt, il avait dit à la police qu’un certain Sal Briguglio était le coupable ! Le FBI, qui a mené l’enquête, n’a trouvé aucun fait concluant.
Théorie n. 3 : Un regard nostalgique sur une époque
Avec The Irishman, Scorsese revient à l’un de ses amours de jeunesse : le film de mafia. Il offre au passage à ses fans un magnifique cadeau en réunissant les stars des Affranchis, Mean Streets et de Casino. En se projetant dans la peau de ce vieil homme, le réalisateur porte un regard nostalgique sur son cinéma. A l’heure où les films de super-héros caracolent en tête du box-office, lui décide de revenir à un cinéma pur, dialogués et d’une certaine longueur. Il se pose comme l’un des derniers représentants de son époque. Un choix qui se fait avec un sacrifice : pour pouvoir produire et diffuser son nouveau film comme il le souhaite (et qu’il soit vu par le plus grand nombre). Scorsese doit passer par Netflix, un médium moderne.
Théorie n. 4 : Un constat amer sur la mafia
La religion est l’un des autres thèmes récurrents dans la filmographie de Scorsese (La Dernière tentation du Christ, Silence…). Un sujet qui est abordé à la toute fin de The Irishman, lorsque Sheeran accepte de se confesser. Ce même homme qui, malgré tous les crimes qu’il a commis, demande à ce qu’on laisse la porte de sa chambre ouverte la nuit, comme un enfant. Car pour Scorsese le constat est simple : le criminel est au même niveau que les autres quand il s’agit de Dieu. La mort vient vous chercher et il faut y faire face. Comme dans Les Affranchis en somme.
Une autre interprétation est par ailleurs possible : The Irishman pourrait être une réponse aux Italo-Americains qui critiquaient Scorsese parce qu’il glamourise les mafieux. Le réalisateur prend le contre-pied en nous montrant un homme seul et délaissé. Un constat bien amer donc.