Contrairement aux Etats-Unis où les changements de showrunners font quasi partie de la vie d'une série, les exemples sont beaucoup plus rares en France. Fanny Herrero, showrunneuse de la série Dix pour cent qui a récemment annoncé son départ de la série de France 2, fait figure d'exception (ou presque) en France.
Lors de la présentation de la saison 4 du Bureau des légendes à la presse, l'équipe a longuement abordé cette problématique, avec une sincérité notable. "Chaque saison est pire que la précédente en terme de création, c'est une torture absolue, a lancé sans détour Eric Rochant, showrunner historique du Bureau des légendes. "Même la saison 4 a été d'une très grande douleur et la saison 5 s'annonce encore pire. Je ne suis pas sûr de la faire. C'est assez infernal".
Il se pose la question de notre propre capacité, de notre imagination, de notre propre force créative
"Le truc avec cette série, c'est qu'on remise tout à chaque fois, et ça c'est quelque chose que je n'avais pas dans le cinéma, poursuit Eric Rochant, qui a réalisé de nombreux longs métrages avant de prendre la tête de cette série. C'est comme si on me disait, je vais refaire Un monde sans pitié. Reparier tout, faire table rase de ce qui a été fait, remettre tout en risque à chaque fois, c’est assez pénible. Il se pose la question de notre propre capacité, de notre imagination, de notre propre force créative, pour qu'on s'y retrouve. On ne veut pas être prisonnier d'une routine, et même prisonnier d’une industrie. Ce n'est pas possible.(...) J'ai envie de rester frais, j'ai envie d'avoir envie tout le temps, j'ai envie de continuer à avoir envie, et ça, chaque année, ça va être plus dur. Aujourd'hui, je vous dis, c'est dur."
Fabrizio Maltese - Recifilms - Axel Films - Les Productions du Trésor - Europacorp - France 3 Cinéma - Samsa Film - Artemis Productions
Eric Rochant a confié avoir voulu passer le relais déjà à l'issue de la saison 3 du Bureau des légendes, mais sans succès. "Je me suis aussi rendu compte que le fantasme que j'avais de refiler le bébé à quelqu'un ne fonctionne pas. On me dit : "tu ne te rends pas compte, c'est ta série, tu ne peux pas la donner à quelqu'un d'autre !" Mais moi j'ai toujours pensé que si, je pouvais la donner à quelqu'un d'autre. Je l'ai fait pour Mafiosa. La première saison, ce n'est pas moi qui l'avait faite et je l'ai reprise."
Et d'ajouter : "Aux Etats-Unis, les showrunners reprennent de temps en temps les séries. Par exemple, David Chase qui a lâché la série Soprano. Aaron Sorkin a aussi lâché la série The West Wing après quelques saisons. J'ai toujours cru que c'était possible. Peut être que ce n'est pas possible [pour cette série] parce que la vision de la thématique est très personnelle, mais c'est aussi parce que le métier aujourd'hui en France n’est pas encore mûr pour ça. On est encore en formation. On est encore en train de former des gens qui vont faire des séries en France, de former des showrunners. Le métier aux Etats-Unis est tellement plus mûr que ça tourne. C'est quelque chose qui est possible. En France, c'est compliqué."
Nous avons besoin en France encore de former plus de gens et à responsabiliser des auteurs et des scénaristes à la production
Le producteur Alex Berger abonde : "Le laboratoire qu'est Le Bureau des légendes sur cette saisonnalité annuelle ou quasi annuelle, fait qu'industriellement ça marche. Le fuel, ce sont quand même les auteurs, les scénaristes. C'est vrai que nous avons besoin en France encore de former, de former plus de gens et à responsabiliser des auteurs et des scénaristes à la production. D'être comme aux Etats-Unis, le lien absolu entre l'imagination et l'écriture, et le plateau. (...) On n'y est pas encore. C'est vrai que c'est compliqué, que c'est un peu long à mettre en place mais ça commence."
Précisons qu'il n'a pas encore été confirmé qu'une saison 5 du Bureau des légendes verrait effectivement le jour. Si l'équipe a botté en touche pour donner une réponse claire, la porte n'est pas fermée pour une saison supplémentaire. "Nous ne voulons pas faire la saison de trop, ça c'est sûr", a expliqué Camille de Castelnau, scénariste principale de la série. "Tout peut arriver !", lance Mathieu Amalric (dans la peau de JJA), qui a rejoint le casting pour cette saison 4. "Tout peut arriver oui, complète Sara Giraudeau (Marina Loiseau), mais si [les auteurs] ne sont pas profondément exigeants et contents sur l'écriture, elle ne se fera pas. Car nous avons à la tête des écritures des grands exigeants, donc s'il faut faire une 5ème et une 6ème saison qui est bien en deça de leurs espérances ou de ce qu'ils ont envie de dire, ils préfèreront peut être ne pas le faire".
