Est-il étonnant de voir que la série coqueluche de Netflix est devenu l'homologue télé du gros blockbuster contemporain ? À rebrousse-poil d'un post-modernisme qui fait le bilan du passé pour aller de l'avant, Stranger Things a fait le choix de stagner dans un cocon nostalgique relevant plus du fantasme de ce qui fut que de ce qui a réellement été.
La première saison trouvait son identité entre les renvois et l'élaboration de sa mythologie. La seconde surfait sur la vague, sans être aussi maîtrisée mais en conservant un énorme capital sympathie. Le vrai tournant à lieu avec la partie 3, négligeant le vrai cœur du récit (la relation Max/Billy) en le bloquant en périphérie d'un festival référentiel 80's mécanique et lourd. Le casting limitait la casse, pour certains les dégâts sont tout de même considérables (Hopper, Joyce). On se serait également passé de la peinture caricaturale réservée aux représentants Russes, qui nous fait dégringoler de l'hommage au pastiche.
Étonnamment, le schisme se situe-là, une partie des fans montrant des signes de lassitude quand une autre aime encore plus la direction empruntée. Un constat qui rappelle évidemment la situation des grosses licences ciné, dont l'élévation commerciale est proportionnelle à la régression artistique. Le quatrième chapitre conforte l'analyse de manière encore plus flagrante.
La direction artistique est à l'avenant, heureusement puisque chaque épisode a coûté 30 millions de dollars (un record). D'un autre côté, le scénario n'a jamais été aussi anémique. La séparation des personnages - artifice jadis idéal pour faire monter la sauce - devient le gros point faible, la majorité des segments étant minés par une écriture défectueuse. Les rares éléments qui suscitent l'intérêt (la difficile intégration de Eleven/Jane) se diluent inexorablement, à l'instar d'un fil rouge désordonné. Cette nouvelle fournée passe l'essentiel de son temps à le perdre à force de temporisations, reniements ou panne d'inspiration.
Plus encore que la saison 3, les frères Duffer poussent les archétypes et facilités un cran plus haut. Une grosse partie des personnages n'a plus que des miettes pour subsister. Millie Bobby Brown fait littéralement du surplace pendant les 3/4 des épisodes, réduite à un concours de pleurnicheries indigne de son talent. Ce qui gravite autour d'El va du remplissage stérile à la réécriture bêta en passant par l'incohérence manifeste. Chez Mike et sa clique, on est encore moins bien loti. La bande n'a tellement rien à faire que la narration la fait basculer du film qu'elle pourrait même être occultée de la narration sans grande conséquence. Jonathan est maintenu en pleine catatonie, et l'intégration d'un Argyle en caricature ultime de hippie est gênant au possible.
Le pire est cependant atteint lors de l'escapade russe, véritable désastre d'écriture dont presque chaque séquence suscite l'embarras voire l'irritation. Cette partie seule explose le compteur des aberrations, entre les interprètes en roue libre complète (Winona Ryder, Brett Gelman & Nikola Đuričko), les dialogues et rebondissements imbéciles. Seule consolation, la petite réhabilitation de Hopper après un passage à vide sur la précédente saison.
Le positif, on le situera du côté de Max, Eddie (seul apport constructif) et l'éternel duo en béton Steven/Dustin.
Leur pérégrinations ne vont pas sans quelques couacs (la milice à leurs trousses, les amourettes hors-sujet), la cavalcade est néanmoins agréable. C'est là qu'on situe les meilleurs moments de la saison (l'épisode 4, et le zénith de l'épisode 9). Une solide équipe pataugeant dans une grande mare.
C'est du divertissement, pour pas se prendre la tête il parait (refrain rabâché très souvent chez....les gros blockbusters). Arrivé au stade de regarder sans y accorder le moindre crédit et n'y prendre plus beaucoup de plaisir, la notion est-elle encore valide ? Divertissement, concept (très) hétérogène.
Incompréhension devant 9 chapitres aisément réductibles à 6 en éjectant pas mal de scories, de sous-intrigues vaines, de répétitions superflues et d'échanges sur-signifiants. L'excellence formelle (mise en scène inspirée, VFX de haute tenue) est un joli habillage, il ne fait cependant pas oublier le corps mutilé qu'il recouvre. La finalité ? Voir Stranger Things rejoindre le grand atlas super-héroïque, ponctué d'enjeux co(s)miques et de ritournelles passéistes. Ce que le long épilogue conforte, à mon grand regret. La promesse d'un carnage à venir n'est pas plus excitante que celle (non-tenue) chantée à tue-tête pendant cette quatrième saison. Je m'en tiendrai là, ça vaudra mieux pour la série et pour moi.