Malgré l'apparence transcendantale de ce trip, qui met purement et simplement en images une réincarnation, jamais je ne me suis senti aussi piégé dans un film de Gaspard Noé. Incapable de quitter cette vie, l'esprit d'Oscar tournoie dans Tokyo, revivant certains événements, assistant à d'autres. Ainsi, Enter the Void se construit comme une expérience de mort immanente, comme le grotesque dévoilement de tout ce qui condamne l'Homme à être si petit, les pieds collés sur le sol où il naîtra et mourra. C'est dans le décalage entre la lucidité totale que veut se donner le propos et l'aspect psychédélique de sa mise en forme qu'on note le mieux qui est Noé, un gars qui tente désespérément de se détacher de son statut, de sa nature, un homme profondément pris dans un grand étau de nihilisme, qui où qu'il regarde - soit un peu partout, avec cette caméra subjective qui n'a aucune limite - voit la même chose et en est dégoûté. Au-delà de la radicalité de son cinéma, qui peut faire peur je le conçois, il y a un vrai mouvement artistique, celui d'un homme à qui je ne vois pas pourquoi on devrait refuser le droit de s'épancher par le septième art. D'autant que sa créativité visuelle offre de base toujours quelque chose de profondément neuf, à la limite de l'expérimental. Ici, le film vaut déjà le détour rien que sur le plan purement sensoriel. Même si lorsqu'on regarde plus profondément, Enter the Void finit carrément par traiter avec talent et intelligence du rapport entre immanence et transcendance, admettant avec dignité les limites de l'homme pour franchir le vide qui les sépare par définition. Une des scènes marquantes, d'ailleurs, prouve bien la réelle ambition d'Enter the Void pour disséquer l'humain ; un fœtus à peine formé, laissé là, en pleine salle d'opération, par les médecins qui viennent d'avorter sa mère. D'abord, m'a à nouveau frappé impression glauque et marquante qu'il laisse sur la condition purement organique de l'homme, toujours très présente (car même si Noé accorde une âme à son personnage, celui-ci demeure guidé par des pulsions basiques, et cela apparaît au final bien plus comme un simple artifice de scénario que comme un élément de discours). Mais par la suite, m'est venue une autre sensation à la vue horrible de ce petit être humain détruit avant même d'avoir existé ; c'est celle d'un arrêt sur image, une tentative de se mettre en retrait de ce grand mouvement général que forment le temps et la vie, avec la conscience qu'on ne peut pas y échapper mais l'envie de réfléchir à ses lois. Dur, Enter the Void est un cri du cœur, sans doute pas à sa place dans ce monde où les gens ont tant besoin de leurs illusions pour avancer. Mais pour moi, il fait état d'un talent et d'un sens artistique impressionnants, au-delà des portes qu'il ouvre en terme d'expérimentation visuelle. Mon Noé préféré, pour l'heure.