Pourtant réalisateur de deux chefs-d'œuvre ("Brève rencontre" en 1945 et "Le pont de la rivière Kwaï" en 1957), David Lean commet (trois ans après "Lawrence d'Arabie" que je n'ai pas revu depuis une diffusion à la RTBF au milieu des années '80) ce mélodrame historique académique illustratif, adapté d'un roman comportant d'énormes coïncidences, invraisemblances et erreurs historiques (c'est clairement la propagande d'un riche juif de droite.)
Cette superproduction présente de magnifique paysages (tournés en Espagne et Finlande), mais surtout des décors artisanaux de tendance gothique, joliment mis en lumières colorées (à la Hammer). La musique connue (entre autre grâce à une parodie des Snuls) de Maurice Jarre est plutôt bien utilisée, sans excès. Le mélange de décors réels et faux (comme une monumentale rue de Moscou) donnent un cachet daté. Au milieu de la glace et de la neige, aucune vapeur de respiration.
Julie Christie, 24 ans, joue une fille de 17 ans. Il y a également Omar Sharif, Geraldine Chaplin, Alec Guinness (habitué du cinéaste) et Klaus Kinski dans un petit rôle d'anarchiste. Ils sont dirigés à l'anglaise, old school. Graves problèmes de scénario : beaucoup de motivations ne sont pas expliquées, on reste en surface. De plus, deux des personnages les plus importants et sympathiques sont subitement éjectés après deux heures, tandis que des événements restent inexpliqués... Tant qu'à faire plus de trois heures, le spectateur n'était pas à une heure près...
À noter qu'il y a un entracte. Quand le film recommence, il y a trente secondes de noir avec son (train dans un tunnel) en attendant que tous les spectateurs soient revenus.
(Re)vu en pellicule belge d'origine avec quelques sautes en janvier 2015 dans la salle Ledoux remplie.
Surestimé.
(presque dix ans plus tard...)
Je l'ai revu en mai 2024 dans les meilleures conditions (copie d'époque, au couleurs conservées, sauvée de la poubelle par Jean-Pierre Verscheure, projetée dans la salle 1 du Palace, avec un son parfaitement spacialisé), mais mon avis n'a pas changé.
Cependant, Fabrice Du Welz (meilleur cinéphile que cinéaste) a souligné l'importance de David Lean pour George Lucas, Steven Spielberg, William Friedkin et le Nouvel Hollywood.
Avec ce regard, ce point de vue, cette lecture sur ce grand écran, j'ai remarqué des paysages filmés monumentalement, avec des personnages défraîchis qui se meuvent dans un coin. Cela annonce fort la Tunisie de "La guerre des étoiles" ou la Norvège de "L'Empire contre-attaque". Surtout quand Obi-Wan Kenobi apparaît, dans des décors à la Hammer, en communiste habillé plutôt comme un SS.
Sur cette copie, les champs de jonquilles resplendissent.
Le directeur de la photographie est Freddie Young ("Mogambo" en 1953 -un des meilleurs John Ford-, "Indiscret" en 1958 -très probablement le meilleur Stanley Donen- et "On ne vit que deux fois" en 1967, qui devait être le dernier James Bond avec Sean Connery.)
Sinon c'est douloureusement académique et vieillot. Les illustrations historiques sont caricaturales.
Les films de Evgueni Bauer, mort en juin 1917, sont plus modernes.
De plus, le spectateur se demande ce qui attire le personnage principal chez Julie Christie (trop âgée au début du film d'environ sept ans). Et s'étonne de
ne plus avoir de nouvelle de son épouse (pourtant idéale, irréprochable) et de son enfant
, alors qu'on le fait lourdement larmoyer par ailleurs.
Je lis que les ridicules coïncidences, incohérences et trous dans le scénario sont notamment une conséquence de l'adaptation du roman, qui a gommé ou raccourci certains passages.
En outre, le premier tiers est confus car il y a trop de personnages, insuffisamment présentés. En conséquence, le début est ennuyeux, même soporifique. Il est difficile de s'accrocher.
À noter, Du Welz a conseillé "La Fille de Ryan" (1970 ; situé entre "Jivago" et "La route des Indes" que je n'aime pas non plus) que je n'ai jamais eu la chance de découvrir.