Il y a des films imparfaits. Vraiment imparfaits. Pourtant, il arrive qu'ils soient appréciés bien plus que d'autres, qui sont pourtant d'une qualité supérieure. Le Docteur Jivago est l'un des meilleurs représentants de cette catégorie.
Mélanger une belle histoire d'amour et d'infidélité au temps de la révolution russe, cela semblait une idée prometteuse. Quand on connaît le talent de David Lean, auteur du Pont de la Rivière Kwai, de La Fille de Ryan, et bien sûr, de Lawrence d'Arabie, on pouvait s'attendre à un chef d'œuvre.
Eh bien ce n'est pas le cas. À la place on à un film très perfectible, mais profondément humain, superbement réalisé, et délicieusement romantique.
Dans sa construction, il ressemble un peu (j'insiste sur le un peu) à Autant en Emporte le Vent. Il s'en démarque par son souffle épique et sa dimension tragique poussée à son paroxysme.
La reconstitution de Moscou, des autres villes, les costumes, les décors, tout est parfait (même si certains ressemblent un peu à du carton). Un gros effort a été réalisé par les équipes techniques, cela se sent, et c'est appréciable.
De même, le casting est parfait. Omar Sharif (paix à son âme) est excellent, son personnage est rendu très attachant par sa performance, qui le représente comme un homme bon, mais attaché à sa liberté et à son individualité. En un sens, son personnage est une charge à lui seul contre le système communiste.
Les autres acteurs se débrouillent bien. En particulier Rod Steiger (parfait en pourriture tsariste, puis communiste), et Tom Courtenay, qui passe de l'étudiant idéaliste au bolchevique implacable. Julie Christie et Geraldine Chaplin sont toutes deux très attachantes (bien que la première soit un peu froide au début du film.
Quand à Alec Guiness, non seulement il disparaît littéralement derrière son personnage (comme à son habitude), mais la façon dont son personnage apparaît et s'exprime est à la fois inattendue, étrange et originale.
La musique du très français et talentueux Maurice Jarre s'inspire énormément du folklore russe, et le thème principal me refile des frissons à chaque fois que je l'entend. Je conseille d'ailleurs vivement d'écouter la version chantée par ce cher John William (le chanteur français, pas le compositeur américain) ou encore la version originale.
La réalisation est superbe, David Lean nous plonge dans une période révolue et proche de l'explosion, avant de nous montrer la lente plongée de la Russie dans le totalitarisme. Ses scènes de bataille, de foule, ou quelque scènes plus intimes et charmantes, sont toujours splendides à voir.
Et quand on parle de scènes intimes, ce film se veut romantique, et il réussit parfaitement cela. J'avoue ne pas comprendre pourquoi certains qualifient ce film de mièvre ; si l'on veut de la mièvrerie, qu'on aille voir Twilight, pratiquement tous les Disney ou La Mélodie du Bonheur, sorti la même année, et qui a raflé les oscars du Meilleur film et du Meilleur réalisateur (qui auraient dus, je pense, revenir à l'œuvre de Lean). Ici, tout fonctionne par des suggestions, des non-dits, des rumeurs. Le chagrin et la joie des personnages sont palpables, les actrices réussissant à ôter tout doute dans nos esprits quand à leur charme.
Mais alors, ou est le problème ? Eh bien le voici, et j'insiste sur l'unicité du problème. Car il n'y en a qu'un. Hélas, il est d'une grande importance.
David Lean veut jouer sur deux tableaux. La romance intime d'une part ; la fresque historique épique d'autre part. Et c'est là où le bât blesse : si l'aspect romantique du Docteur Jivago est très réussi, il n'en est pas de même pour le souffle épique auquel il prétend. Ainsi, les enjeux politiques du film sont traités à la va-vite, le récit s'attardant peu sur le changement politique capital (Haha!) ayant lieu en Russie, tout juste voit-on le pouvoir changer de place, les commissaires politiques remplacer les agents du Tsar et la surveillance s'exercer à tous les niveaux.
De même, les scènes de bataille sont terriblement décevante. Elles ont beau être très bien réalisées (l'attaque des soldats russes dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale semble avoir été d'une grande aide pour la réalisation d'une mission consistant à sauver un certain Ryan), elles sont trop peu nombreuses et surtout beaucoup trop courtes: elles dépassent rarement la minute. Le spectateur avide de belles et grandes scènes d'action devra se « contenter » du Seigneur des Anneaux. Ici, l'amour prime, et la guerre peut aller se faire... d'aucun diront que c'est tant mieux, je pense que si on veut montrer une certaine période de l'Histoire, on ne doit pas passer trop vite sur ce qui l'a composée. Il faut prendre son temps, et bien que le film soit déjà long, une bonne dizaine de minutes en plus, consacrées aux points évoqués précédemment, n'aurait pas fait de mal.
Mais ce défaut, si grave soit-il, ne parvient pas à faire retomber le lyrisme poétique du film. Et quand on parle de poésie, certains plans et quelque scènes expriment visuellement le travail poétique de Jivago, ses vers nous restant inconnus. On ne compte plus les innovations visuelles, les images splendides et les preuves du talent lyrique de Lean.
En clair, bien que ce film soit très imparfait, comme évoqué précédemment, il reste ambitieux et d'une grande qualité. Peut-être n'a-t-il pas réussi tout ce qu'il voulait entreprendre, mais au moins il a tenté. En guise de conclusion, prêtons l'oreille à l'un des plus grands fans de David Lean :
« Quand j'ai vu Le Docteur Jivago, je me suis dit que c'était un chef d'œuvre et j'ai été très ému par ce film. Je le revoie avec Le Pont de la Rivière Kwai et Lawrence d'Arabie, spécialement lorsque je vais commencer mes propres films ».
Steven Spielberg.