https://leschroniquesdecliffhanger.com/2023/07/11/lost-in-translation-critique/
Lost In translation, purement subjectivement évidemment, semble comme l’absolu aboutissement du talent de réalisatrice et de peintre du cinéma de Sofia Coppola. Ce décalage si cher à Sofia Coppola, ces personnages perdus dans l’espace et le temps, trouvent ici la plus parfaite des incarnations avec Charlotte et Bob. La torpeur est permanente, c’est l’éloge d’une heureuse simplicité où l’immobile nous fige, on devient attentif à tout, c’est l’exacerbation de nos sens. Très vite, on devine que Charlotte s’est mariée trop tôt, que Bob est marié depuis trop longtemps et que leurs jetlags respectifs dans ce pays, mais aussi dans cette vie, va les rapprocher comme jamais on peut se rapprocher dans la pudeur des sentiments contrariés.
Lost in Translation, ou la quintessence des non-dits et le refus de l’éreintant superflu s’expriment entre autres ici à travers la puissance du jeu des regards… Et puis, il y a les déambulations oniriques et poétiques dans ce Tokyo bigarré entre le poids d’une tradition séculaire et la pointe extrême de la modernité. Un Tokyo filmé sans réelle autorisation, discrètement et sans éclairage, encore plus spontané et authentique. Véritable personnage du film, Tokyo est aussi Lost in translation que Charlotte et Bob. Ces promenades de Charlotte sont comme une forme de symbiose contemplative où sans arrêt à l’écran il se passe mille choses sans que rien ne bouge. A l’image du suggestif permanent qui accompagne ce film, Sofia Coppola joue sur une forme de paroxysme des non-dits, et opte pour une mise en scène épurée, autant drôle, élégante que mélancolique, et qui toujours évite les facilités. C’est autant comique que cosmique.
Nous sommes les premiers témoins de l’improbabilité qui se mue en évidence tant leur lien est puissant, électrique et très vite inconditionnel. La tyrannie des lois de l’attraction, cette fameuse alchimie qui ne se décide pas mais se vit, se ressent. Une alchimie ici vivante à l’écran, qui nous touche tellement qu’elle nous transperce, on l’envie, on espère, on regrette, on la vit avec eux. « Avec toi tout le monde est toujours complètement con » dit son mari à Charlotte. Elle est parfois un peu bêcheuse et traverse le monde avec autant de grâce que de douces vacheries bien senties en préparation. Une espièglerie sensuelle. Lui évidemment blasé, tendrement cynique, coincé entre des envies d’un meilleur ailleurs et la peur que tout soit déjà un peu joué.
Quand leurs respectives névroses se rencontrent, le grain de l’image est autant feutré qu’éblouissant, le jeu des lumières de l’hôtel et de la ville tellement poétique, la douce épure de la photographie, le son envoutant de Brian Reitzell de Air, c’est la pyramide des arts à chaque scène. La subtilité contemplative du film en fait ce chef d’œuvre du non-dit… comme une suggestion permanente… Tous les deux allongés sur le lit, perdus dans un hôtel et un dans un pays dont ils ne maîtrisent que peu de codes, sur ce lit où il serait si élémentaire de s’abandonner charnellement… Il lui prendra finalement le pied et pas la main… Au-delà d’une forme d’impossibilité toute shakespearienne, Charlotte et Bob composent avec la disparition de leur espace-temps usuel et avec la candeur et l’imprévisibilité d’un sentiment naissant.
Lost in translation, le film indispensable au romantisme, à une certaine idée du cinéma donc de la vie, le film indispensable. Lost in translation, de la poésie filmée, on plane, on vole, et surtout on est ramenés à l’essentiel, à la seule chose qui compte, à la rencontre, à l’autre, à toi…