1940. Hitchcock occupe confortablement une place cardinale dans le cinéma britannique. Voilà, alors que l’Europe croule sous les conflits de la seconde guerre mondiale, que David O. Selznick (producteur et auteur de « Gone with the wind »), l’invite aux Etats-Unis pour y réaliser des films dans son studio. « Rebecca » (USA, 1940), adapté de Daphné du Maurié, signe donc l’introduction d’Hitchcock dans l’industrie hollywoodienne. De l’aveu du cinéaste, l’expérience fut pour lui profitable mais assez pénible. Le contrôle de Selznick et ses désaccords avec le réalisateur firent, d’emblée, détester le producteur à Hitchcock. Dans de tels conditions, « Rebecca » aurait du, de droit, souffrir d’incohérence. Le film en sort pourtant grand, du niveau des œuvres les plus accomplies de l’auteur. Il y a deux grandes périodes hitchcocko-américaine : celle du début des années 40 (« Suspicion », « Saboteur », « Spellbound », « Notorious ») et celle de la deuxième moitié des années 50 (« Rear Window », « The Trouble with Harry », « Vertigo », « North by Northwest », « Psycho »). « Rebecca » signe donc l’ouverture du premier pan. Mouvements de grue élégiaque, raccordant sans césure gros plan d’une serviette de table et plan d’ensemble d’une salle à manger aristocratique, flottant dans le décor comme une steadycam avant l’heure, mise en perspective des personnages (la première apparition par la gauche du champ de Mrs. Danvers est terrifiant), la mise en scène conjugue une lumière frénétique dans sa composition éclatée à une narration magnifiée par la musique délicate –quoique quasi-omniprésente- de Franz Waxman. « Rebecca » partage de nombreux enjeux dramatiques avec toute une tradition du cinéma hollywoodien, le « Laura » de Preminger et le « Secret beyond the door » de Lang. Film matriciel de ceux-là, « Rebecca » réussit à donner une ampleur dramatique et visuelle que les autres n’atteignent qu’à force d’effort psychologique. Si, en bien des points, le cinéma de Preminger surpasse celui d’Hitchcock, il faut avouer que « Laura » s’efface éminemment devant « Rebecca ».