Le cinéma de Sofia Coppola transpose, film après film, le concept de « femme gelée » défini notamment par Annie Ernaux dans ses romans : des personnages qui, tout en étant victimes d’un système sociétal plus ancien et plus fort qu’eux, se débattent le temps d’un récit qui refuse de les réifier, qui explore leurs rêves et leurs failles, qui oppose une révolte en sourdine mais omniprésente à l’image. Priscilla tient, évidemment, de ce discours tout en s’inscrivant dans un rapport de continuité/rupture avec l’œuvre de Baz Luhrmann, Elvis, sortie en 2022.
Continuité tout d’abord dans la mesure où les deux cinéastes engagent une réflexion sur la dépendance :
dépendance à l’amour, à la drogue et à notoriété entendue comme convergence de l’amour du public et de l’argent
. Elvis comme Priscilla se rebellent contre leur milieu d’origine : l’un oppose à la misère la démesure, l’autre à la rigueur militaire une liberté morale. Une même métaphore s’observe : celle de la cage dorée qui définit, pour Elvis, Las Vegas et, pour Priscilla, le domaine de Graceland, vaste territoire composé de moquettes, de marbre et de bibelots luxueux auxquels la jeune femme a interdiction de toucher. Enfin, les deux amants partagent une position de victimes d’un système qui les entretient et qu’ils entretiennent en retour. Sofia Coppola refuse de considérer le chanteur comme un bourreau, le dévoile davantage sous influences, comme l’attestent les plans répétés – et insupportables, à terme ! – sur l’entourage masculin d’Elvis, jeunes hommes parlant et vivant à l’unisson de celui-ci, lui offrant un chœur à la manière de la cour de Giton dans Les Caractères de La Bruyère.
Priscilla devient alors une victime collatérale : elle
souffre de la souffrance de son époux, peine à se réjouir de ses réjouissances en ce qu’elles n’adviennent pas pour elle seule mais exigent d’elle, au contraire, de s’en faire le témoin
. La passivité synonyme de captivité mute en réquisitoire contre le patriarcat : interdiction de travailler, limitation stricte des déplacements, considérations maternelles que relayent les différents médias de l’époque.
La cinéaste retranscrit par l’esthétique le quotidien de son héroïne, traduit par l’image ses désillusions, écarte régulièrement le rythme des chansons rock pour capter celui d’une femme restée cette jeune innocente de seize ans déracinée puis convertie à la cruauté des relations humaines. Nous lui reprocherons cependant de pécher par omission, soucieuse de peindre Elvis sous les traits d’un prédicateur – en réalité élève sous l’influence de divers prédicateurs – sans aborder l’adhésion à la scientologie de Priscilla Presley en lien avec son professeur de sport… La caméra ne s’intéresse pas aux zones d’ombre et se subordonne à un discours trop hagiographique, hélas, pour véritablement nous émouvoir du sort de cette prisonnière de l’amour et (par procuration) du show business.