Après "Acide", "Le Règne Animal" et en parallèle de "Vincent Doit Mourir", voilà que le cinéma de genre français, très en forme ces derniers temps, s'attaque au survival horrifique en huis-clos par l'intermédiaire de "Gueules Noires", troisième long-métrage de Matthieu Turi dont on attend toujours qu'il confirme le potentiel entrevu dans "Hostile" et "Méandres" pour s'imposer comme un nom hexagonal incontournable en son domaine de prédilection. Et, comme on a un petit faible pour les bonnes vieilles séries B (au sens noble) voyant un groupe d'individus se confronter à une chose carnassière en milieu hostile, inutile de dire que l'on ne s'est pas fait prier pour rejoindre cette équipe de mineurs du nord de la France, chargée en 1956 d'escorter un scientifique pour qu'il effectue des relevés en sous-sol. Au cours de leur escapade, ils vont évidemment tomber sur un lieu oublié qui va leur poser quelques menus soucis..
Difficile de nier que Matthieu Turi n'est pas un bon artisan pour nous enfermer en compagnie de ses personnages dans les intestins des profondeurs minières, le tout via un croisement inédit et plutôt réussi du traitement voulu réaliste des conditions de ce labeur éprouvant et une lutte à mort face à la chose improbable qui va s'y réveiller.
Ainsi, lors de sa première partie prenant le temps d'installer un contexte crédible autour de son groupe de mineurs envoyés en mission spéciale pour quelques deniers supplémentaires, "Gueules Noires" met par exemple en lumière ce qui les différencie superficiellement entre eux dans le monde de la surface (leurs origines, leurs aspects physiques, etc) avant, une fois sous terre, de les renvoyer à leurs simples statuts d'hommes, pétris de défaillances universelles et susceptibles d'enrayer la force collective qui leur permettrait de résister face à l'adversité (celle qui ressort d'un superbe prologue souligné par les chœurs de leurs prédécesseurs).
Outre la belle ambiance claustro qui va déteindre au-delà de l'écran sitôt les protagonistes entrés dans les profondeurs, le film va peu à peu faire affluer ses vapeurs d'horreur/fantastique dans l'atmosphère déjà anxiogène de ses galeries et franchir assez vite le pas de les matérialiser sous la forme de son antagoniste au design réussi (emprunté au sculpteur japonais Yoneyama Keisuke) et aux FX d'antan convaincants pour lui donner plus de chair à l'écran. Sur cet aspect, Matthieu Turi tirera toujours le meilleur des apparitions de cette "chose", faisant monter en gamme ses manifestations par un éventail de séquences pensées pour la mettre en valeur, notamment lors d'une excellente phase de... disons... "traduction".
Pour le reste, ces "Gueules Noires" suintent bien sûr tout l'amour de leur auteur pour les archétypes propres à ce type d'intrigue mais, malheureusement, à l'excès, empêtrant le déroulement global du film dans un lot de péripéties déjà vues et ne pouvant donc offrir qu'un nombre très restreint de surprises capables de briser la routine du genre pour peu que l'on soit un minimum familier de ces codes. Évidemment, on sent que le background autour de la menace a été pensé comme le grand cachet original qui pourrait faire la différence de l'entreprise -et il faut bien reconnaître que l'appel à cette (belle) référence est assez inédite dans une production frenchie- mais le film de Matthieu Turi vient après de trop de nombreux autres qui y ont fait opportunément appel pour se donner une contenance grâce au bénéfice de l'aura du lore utilisé (on pense par exemple à un certain film "sous-marin" de 2020) et, même si une forme de sincérité se fait ici plus nettement sentir dans la façon de l'exploiter, l'effet de surprise escompté peine à porter ses fruits et ne permet pas de supplanter le classicisme général et les personnages très stéréotypés (parfois sauvés par la conviction de leurs interprètes, mention spéciale à Samuel Le Bihan) dans lequel s'enterre trop souvent "Gueules Noires".
Faites d'un respect que l'on sent immense à l'égard de ses modèles, les fondations de cette mine sont solides et le talent de celui qui nous y sert de guide est indéniable mais le recours à une mythologie connue et toujours fascinante ne suffit pas à créer le sentiment d'avoir découvert une réelle nouvelle pépite en sa catégorie. Le gisement de qualités est bien là mais peut-être aurait-il fallu creuser encore plus profond pour en tirer le meilleur ?