« Le Procès Goldman » est un film de 2 heures qui se déroule quasiment intégralement dans la toute petite salle du Palais de Justice d’Amiens. La caméra n’en sortira pour ainsi dire jamais, et il n’y aura pas non plus le moindre flash back pour éclairer l’affaire, pas la moindre conversation privée dans un couloir ou une salle des pas perdus : le prétoire, la barre des témoins, la cellule de rétention du tribunal, la salle et rien d’autre. Pas même la moindre note de musique, ni pour habiller un générique de début, un générique de fin, rien de rien… Recadré en format 4/3, comme pour aider le spectateur à se focaliser seulement et uniquement sur l’essentiel, le film de Cédric Kahn est totalement nettoyé de tous les artifices du spectacle pour ne donner à voir qu’un procès, le procès d’un homme. « Le Procès Goldman » est passionnant de la première image à la toute dernière image, de la première scène dans le bureau de Kiejman au verdict. En respectant au plus près le verbatim du procès, il offre à ses acteurs des dialogues d’une puissance totale. Il utilise subtilement et très souvent le hors champs, pendant de longues secondes, il scrute l
e regard d’un frère fébrile, d’une compagne inquiète, d’un père bouleversé, d’un veuf inconsolable, d’un policier déstabilisé, d’un avocat dépassé par la fougue de son client,
et pendant qu’il filme ces regards se disent hors champs des phrases clefs, des vérités fortes, des mots puissants. Cédric Kahn a choisit l’angle de la sobriété totale pour nous laisser seul dans cette salle avec ces formidables acteurs. Je pourrais dire beaucoup de bien de Arthur Harari en Georges Kiejman, de Nicolas Briançon en Maitre Garaud, de Jerzy Radziwilowicz en Alter Goldman (son témoignage est bouleversant) ou encore Chloé Lecerf, tout sont impeccables. Mais la performance d’Arieh Worthalter éclipse toutes les autres : on ne voit que lui, on n’entend que lui, il est le pôle magnétique irrésistible de cette petite salle, et c’est un pôle magnétique hyper puissant ! Il donne corps à un Pierre Goldman droit comme un « i », une boule de nerfs et de révolte, perpétuellement à fleur de peau, emporté et théâtral, moqueur et d’une éloquence folle. Il incarne tout simplement un Pierre Goldman au charisme indéniable et, je le redis, magnétique. Son interprétation, jusque dans son regard noir, son rictus buté, ses poings serrés, est un tour de force qu’il n’est pas facile de décrire.
Il ne parle pas, il ne se justifie pas, il ne cherche pas de faux fuyants : il proclame, il assène, il affirme.
Arieh Worthalter livre une interprétation comme on en voit peu.
Sur le fond, « Le Procès Goldman » est bien plus que le procès d’un homme, c’est aussi le portrait d’un révolutionnaire tourmenté, qui par faiblesse ou par facilité à choisit la voie sans issue du banditisme. Pierre Goldman, dont j’ai lu une biographie il y a quelques années, était un homme d’une complexité insondable. Marqué par sa naissance dans la clandestinité de la Guerre et de la Résistance, écrasé par le passé héroïque de ses deux parents, empêtré dans sa condition de juif polonais, aussi intelligent que fragile psychologiquement, c’est un homme très difficile à aimer. [spoiler]C’est un homme difficile à aimer et pourtant beaucoup de gens l’aiment, sa compagne, ses frères, sa sœur, son père, sa belle-mère. C’est un homme difficile à comprendre et pourtant tout ce que la Gauche Française compte d’intellectuels de l’époque le comprenait. C’est un homme ô combien difficile à défendre (la pauvre Georges Kiejman, on a mal pour lui !) et pourtant il est ardemment défendu. « Je suis innocent parce que je suis innocent, personne ne peux rien y faire même pas vous ».
C’est qui ce « vous » ?
C’est la société des années 70, encore très antisémite (c’est la génération des fils de résistants et des fils de collabo, et rien n’est réellement purgé à l’époque) et
bien plus raciste qu’aujourd’hui
? C’est la Police, que Goldman fustige sans aucune nuance parfois de façon tout à fait pertinente mais aussi parfois jusqu’à l’absurde ? C’est la Justice, qui laisse elle aussi entrevoir son racisme sous-jacent par les mots qu’elle prononce,
ou ceux qu’elle laisse dire
?
Ce sont les « juifs de salon » que Goldmann méprise tant ?
C’est tout ça à la fois, tant cet homme apparait seul contre le monde entier, alors qu’il ne l’est pas, mais alors pas du tout, en avril 1976 ? Le film de Cédric Kahn est, en plus du portrait d’un homme celui d’une époque, et ça sans jamais poser sa caméra ailleurs que dans une minuscule salle.[/spoiler] Ce film est un tour de force, l’interprétation d’Arieh Worthalter est un tour de force. Il est des films qui en mette plein la vue et qu’on oublie presque aussitôt. Le film de Cédric Kahn, c’est exactement le contraire.