Bénéfice du doute
J’avoue humblement être passé totalement à côté de ce fait divers qui a pourtant remué les foules dans les années 70 et qui constitue le sujet même du nouveau film de Cédric Kahn. J’apprécie beaucoup le cinéma engagé et intelligent de ce cinéaste comme dans Une vie meilleure, Vie sauvage, La prière, ou Fête de famille. Une fois de plus ces presque deux heures non seulement ne m’ont pas déçu mais plutôt passionné. En avril 1976, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine. 116 minutes d’une force et d’une âpreté rares.
Après l’admirable Anatomie d’une chute d’aucun pensait qu’il serait difficile de refaire ce qu’on appelle un film de prétoire. Cédric Kahn nous prouve le contraire. Un huis clos complet, on est enfermé durant 116 minutes dans le tribunal avec l’accusé, les avocats, le président, les jurés et une flopée de témoins. Une tension permanente, des joutes oratoires parfaitement maîtrisées et ce doute qui s’insinue en permanence dans nos esprits – comme c’était le cas dans ceux qui devaient juger définitivement -. L’autre performance réside évidemment dans le fait que l’accusé est tout sauf sympathique. Visage du militantisme d'extrême gauche soutenu par Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Simone Signoret, Régis Debré et d'autres grands noms de la culture, Pierre Goldman était un intellectuel qui a évolué vers le banditisme. L’homme est cultivé, brillant orateur, passionné, mais aussi violent, colérique, provocateur et prétentieux. Une des phrases qui le décrit le mieux est celle qu’il prononce dès l’ouverture du procès : Je suis innocent parce que je suis innocent. C’est à travers son livre, Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France, que Cédric Kahn a découvert ce personnage hors du commun, une quinzaine d'années avant de lui consacrer ce film. Un film sans flash-back, sans musique, sans effet de caméra, sans fioriture, la forme est la plus sèche possible. Rien ne peut détourner notre attention de ce qui se passe dans ce prétoire et on est captivé de bout en bout. Un modèle du genre.
Bien sûr, on ne peut réaliser ce genre de film sans une distribution en béton. Au centre, l’incroyable Arieh Worthalter qui incarne à merveille toutes les facettes de Goldamn. Il est superbement entouré par Arthur Harari, Nicolas Briançon, Stéphane Guérin-Tillié, Aurélien Chaussade, et beaucoup d’autres. En évoquant avec force et acuité un moment important de l’histoire juridique française, Cédric Kahn signe à la fois un très grand film de procès et le passionnant portrait d’une époque, dont les problématiques ne sont pas si éloignées – hélas – de la nôtre, comme le racisme, l’antisémitisme ou la xénophobie -. Il s’agit du portrait sans concession d’un écorché vif d’une absolue maîtrise. Un film à voir sans tarder qui nous place dans la position – inconfortable - des jurés et qui laisse toute sa place à la seule chose qui vaut : la parole.