Qu'est-ce qu'une pièce « sans père » sous sa tutelle, mais avec son lot de désespoir ? Valeria Bruni Tedeschi sonde cette réflexion à travers les coulisses de Platonov, d'Anton Tchekhov, au sein même de l'école de théâtre qui l'a lancé. Les Amandiers de Nanterre est un lieu culte chez les comédiens de formation, tout comme ceux qui y ont vu l’opportunité de côtoyer le célèbre metteur en scène Patrice Chéreau, dont on retient l’excellence et le prestige. Pourtant, il existe un masque à toute cette euphorie, qui constitue le cœur de toute l’intrigue. La pertinence derrière la caméra de la cinéaste franco-italienne se confirme et tient alors son œuvre d’autofiction comme la plus aboutie, qui hurle la passion destructrice de l’acting, que ce soit sur scène, dans les coulisses ou face à la caméra.
Entre la démonstration, la présélection et les aspirations de chacun, on s'autorise à établir le portrait de l'an 1986 et de tous les maux qui l'alimentaient. Des personnages se livrent et se dévoilent dans un défouloir juvénile, propre aux motivations de chacun, mais dans leur jeu se cache bien des émotions qu’il est parfois difficile de canaliser. Il s’agit de l’enjeu du récit, qui emportera douze candidats, tous plus candides les uns que les autres, vers la consécration de leur effort collectif. Les répétitions laissent place aux déceptions, qui vont rapidement enterrer les sourires de certains, qui croyaient déjà ce grand air à leur portée. Malheureusement, tout reste éphémère et c’est ce que Chéreau (Louis Garrel) entrevoit pour sa troupe, qui expérimente autant la folie que les amourettes passagères. C’est ainsi que se déchaîneront les émotions, projetées à la force d’une avalanche ou d’une éruption frénétique, où l’on n’en ressort pas indemne.
Stella (Nadia Tereszkiewicz) est autant la coqueluche de son ami Etienne (Sofiane Bennacer), que la plus à même de l’accompagner dans sa lente chute de dépendance. Tous feront face aux addictions et autres tabous qui ont tous des codes d’une vie conjugale à la limite de la rupture. Dans ce même mouvement, on prend le temps de désacraliser Chéreau dans son excentricité et sa débauche, qui peut être inspirante dans un premier temps, avant d’en dévoiler les limites avec un déni des plus tragiques. Que l’on affirme haut et fort d’être conscient de ses failles et de ses échecs n’est pas non plus un sentiment qui se maîtrise. Dans de rares moments de flottement, on emploie le mimétisme comme symbole de communion, chose qui disparaît peu à peu de la sphère privée du groupe, pour se centrer sur Stella est les conséquences de ses choix, notamment.
On y parle autant de succès que de sacrifice et ce film reste un hommage d’une grande sensibilité pour celles et ceux qui sont passés par le doute. Nous pourrions quelque part y voir du « 120 battements par minute », dans sa démarche fiévreuse, témoignant d’une jeunesse égarée dans le temps et condamnée par ses désirs. Il faut ainsi entendre les précieuses paroles de Jean-Jacques Goldman, qui freinent immédiatement les attentes de certains, qui nagent ou surnagent dans un monde capricieux et soucieux de son ivresse pour ne pas prendre en compte ce qui cloche chez l’autre. « Les Amandiers » brasse peut-être un peu trop de thématiques et finit ainsi par en négliger ses subtilités, là où il dégage avec générosité des émotions, qui rasent tout et jusqu’à étouffer le spectateur par la détresse qu’il livre et qu’il apaise, d’un coup de pouce, l’approbation décisive que l’on attend parfois trop longtemps pour pouvoir profiter du présent.