C'était le film de la sélection officielle cannoise que j'avais le moins envie de voir. Les précédents de Valeria Bruni-Tedeschi m'avaient été de douloureuses épreuves de résistance et de rire nerveux, extrêmement préoccupés qu'ils étaient de mettre en scène avec fausse légèreté les petits problèmes de la haute bourgeoisie.
La promesse, ici, n'était pas non plus un truc trop pour moi, puisqu'il s'agissait de filmer l'histoire d'une mythique école de théâtre que je ne connais pas, puisque je suis allé environ douze fois au théâtre dans ma vie, et dans 90 % des cas c'était pour voir Laurianne Loisel et passer la pièce à me dire "ouah j'la connais".
Donc là c'est la troupe des Amandiers, menée par Patrice Chéreau, sorte de génie-tyran adoubé de tous, y compris de la réalisatrice encore aujourd'hui, ancienne élève à lui, totalement sous son emprise mais racontant à travers son film combien son enseignement lui a été précieux, combien le type était avant tout un génie.
Pleurs, ambiance de merde, drogue, alcool, tout ce petit monde tourne complètement taré là-bas, mais aux yeux du film, ce n'est qu'au service de l'Art, et là-bas, c'en était un sacré, d'art, qui était en jeu.
Mêlé au scandale autour de son acteur principal accusé de viol et mis en examen au moment de sa sortie, le film est boursouflé des problèmes qu'il pose, autour de ces questions d'emprise, de violence. Il ne fonctionne qu'en complément avec le documentaire à son propos sorti sur Arte.
Réalisé en parallèle du tournage, Des Amandiers aux Amandiers m'a passioné.
Parce que sous son format assez épuré, il montre combien Chéreau et cette fascination qu'il a exercée sur son élève aujourd'hui réalisatrice, ont eu un impact fort sur l'artiste qu'elle est devenue. Et combien VBT reproduit beaucoup de ce que son mentor lui a fait subir. L'art serait plus fort que tout, se faire quelques bleus lorsqu'on est un acteur ne serait pas bien grave, le jeu est plus important que le reste.
Et l'acteur principal, dont tout le monde savait lors du tournage qu'il était au coeur d'une enquête judiciaire, apprend l'article de Libé, n'a pas à être écarté, puisque c'est dans ses "failles" qu'il trouve son intensité de jeu.
Tout ce petit bordel cumulé aux articles de presse donne à voir les effrayants mécanismes qui régissent et ont régi un certain monde du théâtre et du cinéma (et sûrement pas que), dont on imagine qu'il est rempli de scandales encore tus. À une époque de "libération de la parole", il m'est apparu intéressant qu'un tel diptyque, même si ce n'est absolument pas son objectif artistique, me rappelle qu'on est en réalité sur la partie émergée d'un bien volumineux iceberg.