Les tourments de la création
Anne Fontaine change de genre de films comme de chemise. Mais quoi qu’elle fasse, j’aime son cinéma. De Nettoyage à sec en 1997… ça fait un bail, Présidents en 2021, elle nous a régalés avec Comment j’ai tué mon père, Entre ses mains, Perfect Mothers, Les innocentes, Marvin ou la belle éducation, Police, Blanche comme neige, que du bon, voire du très bon. Alors ces 120 minutes étaient attendu avec autant d’impatience que de curiosité. En 1928, alors que Paris vit au rythme des années folles, la danseuse Ida Rubinstein commande à Maurice Ravel la musique de son prochain ballet. Tétanisé et en panne d’inspiration, le compositeur feuillette les pages de sa vie - les échecs de ses débuts, la fracture de la Grande Guerre, l’amour impossible qu’il éprouve pour sa muse Misia Sert… Ravel va alors plonger au plus profond de lui-même pour créer son œuvre universelle, le Bolero. Deux heures pour nous camper un Ravel fidèle à la légende de son personnage mais très éloignées de la véritable histoire de l’œuvre la plus célèbre du monde – il ne se passe pas un ¼ d’heure sans que le Boléro ne soit joué quelques par sur notre planète -, qui s’avère hélas bien plus prosaïque que ce beau drame romantique. Un faux biopic, une vraie réussite.
Le bémol – c’est le moment où jamais – que j’ai signalé plus haut n’est réservé qu’aux spécialistes de l’histoire de la musique et encore plus, de celle de Ravel. Mais oublions pour se concentrer sur le cinéma. Et là, il y en a partout et à chaque instant. Le film est très réussi, la reconstitution très fidèle et la romance tout empreinte de mélancolie joliment écrite, mise en scène et interprétée. 1ère belle idée le générique du début où l’on voit s’entremêler les nombreuses adaptations de la partition immortelle à travers le monde. Oui, le Boléro est une œuvre universelle et son compositeur une énigme. Introvertie, insaisissable, distante et tourmentée Tous ces aspects sont parfaitement rendus. Le tournage a pu s’effectuer dans la vraie maison de Ravel, à Montfort-l’Amaury et la photographie de Christophe Beaucarne fait merveille. Après, ce n’est que plaisir de la scénariste de lui faire croiser – et nouer des liens fantasmés – avec des figures de l’époque comme Misia Sert ou Ida Rubinstein. Un très beau film porté par un casting ***.
Raphaël Personnaz inonde l’écran de son talent et de sa présence en incarnant pourtant un homme plus qu’introverti. Une performance, le film lui beaucoup. Il est très entourée par une ronde de femmes, Doria Tillier, Jeanne Balibar, - somptueuse -, Emmanuelle Devos, Sophie Guillemin, Anne Alvaro, Marie Denarnaud. On ajoutera la présence de Vincent Perez et du pianiste virtuose Alexandre Tharaud qui a supervisé toute la partie purement musicale du film tout en acceptant d’y tenir le rôle d’un pur salaud. Mozart, Berlioz, Beethoven, Mahler, Schubert avaient eu droit à leur biopic. L’immense Ravel valait bien ce beau moment de cinéma… et puis, quelle musique !