Voilà un récit poignant où Roman Polanski ne ménage pas l’horreur du ghetto de Varsovie.
Ainsi, je suis resté scotché devant cette horreur où des corps jonchent les rues sous les regards éprouvés des passants ; non, ce n’est pas de l’indifférence, l’horreur fait partie du paysage et les passants habitués ne peuvent pas se permettre de s’arrêter.
D’autres metteurs en scène auraient appuyé l’horreur avec un regard persistant perlé de larmes, avec une mâchoire contractée d’une colère retenue ou avec des bras berceau pour accompagner les victimes dans leur ultime sommeil.
Avec Roman Polanski, il n’est nulle question de s’apitoyer. Penser à soi, ce n’est pas ignorer l’horreur de ces cadavres étendus sur le sol, c’est continuer à marcher, c’est continuer de vivre, c’est se sentir vivant dans ce chaos. Marcher, c’est le mouvement et le mouvement c’est la vie sans savoir combien de temps il reste encore à vivre, avec l’espoir de ne pas être une cible aléatoire ou la cible d’un caprice, d’une humeur, d’une représaille. Chaque seconde de vie compte, les morts ne comptent pas dans le présent, ils compteront quand la guerre sera finie.
Il sera temps de faire les comptes et de les pleurer.
Je refuse d’y voir de la complaisance, Roman Polanski a vécu l’horreur du ghetto de Cracovie et je lui fais entièrement confiance dans sa représentation sinistre.
Roman Polanski ne s’égare pas. Il place le spectateur là où est placé Władysław Szpilman. Son point de vue est le point de vue du spectateur.
Ainsi, la révolte des juifs dans le ghetto de Varsovie n’a nulle besoin d’être davantage développée.
La révolte du ghetto est vue du point de vue de Władysław Szpilman, qui plus est, cadrée par une fenêtre et surtout dans un angle oblique. Le ghetto n’est pas face à sa fenêtre. La révolte est pratiquement hors champ, pratiquement hors de la vue de Władysław Szpilman. Elle n’est que bruit, que cris.
Roman Polanski se garde bien d’illustrer la révolte par quelques scènes épiques.
Malheureusement, il n’y a rien d’épique.
De plus, Roman Polanski ne s’embarrasse pas d’intrigues parallèles, il suit son pianiste qui ne cesse de fuir, qui ne cesse d’avoir peur, traqué comme une bête sauvage. Comme lui, nous ne savons rien de ce qu’est advenu de sa famille. Roman Polanski ne nous raconte pas d’autres histoires que celle de son pianiste, et il nous donne à voir ce que voit, ce qu’endure « Le pianiste ».
Voilà pourquoi le point de vue de Roman Polanski est puissant.
Sa direction d’acteurs est à saluer comme d’habitude ; Adrian Brody est complètement habité par son rôle, on le voit au fur et à mesure qu’il évolue comme ahuri face à l’horreur du chaos. A l'image d'une fleur qui pousse au milieu d’un tas de purin, sa part d’humanité est préservée, elle s’exprime au bout de ses doigts sur les touches d’un piano.
A voir en V.O si possible…