Le Pianiste, c'est Wladyslaw Szpilman, un juif rescapé du ghetto de Varsovie, dont Roman Polanski trace ici l'itinéraire sanglant, douloureux et funeste dans une sobriété effrayante. En effet, il est sauvé (presque) malgré lui par un officier au moment de monter dans les wagons de déportation, et entame une survie, un voyage qui ne le mène nulle part, sauf aux endroits où se confronte la barbarie et l'absurdité du monde à sa maigre part d'humanité. Roman Polanski donne à ce personnage une importance capitale, de par sa solitude face à la guerre, mais aussi de par son fatalisme, son incapacité d'agir dans des situations toujours plus cruelles et violentes. Chaque séquence est filmée avec une grande froideur, un grand détachement qui contribuent à une vision inéluctable de l'avenir. Jamais la vie n'avait paru si fragile, si absurde. Les exécutions, le ghetto, le camp de travail, tout cela reste pâle, boueux, empêtré dans la tyrannie humaine qui devient de plus en plus inexplicable au fur et à mesure qu'on en voit les ressorts. Le réalisateur garde un contrôle absolu sur sa mise en scène, sa reconstitution d'époque sans pour autant être le chef d'orchestre à qui rien n'échappe. C'est avant tout l'immobilité d'un homme, de ce musicien sans piano qui observe le monde, la société autour de lui se dégrader, se détruire, avec ses idéaux, sa substance même. Cependant, l'espoir n'est pas éradiqué, ni la bonté humaine qui subsiste inexplicablement chez des gens qui la conservent comme un bout de pain acheté au marché noir. D'une séquence insoutenable où un SS fait danser des juifs pour se moquer d'eux, on passe à une autre, la plus lumineuse, durant laquelle Wladyslaw joue pour un général nazi qui lui donne son manteau. Certes, Polanski a oublié de donner un piano à son soliste, mais il n'a pas oublié que l'humanité est capable du meilleur...comme du pire.