Autant, récemment, je trouvais désuet le film de Rian Johnson À couteaux tirés, avec son intrigue à la Agatha Christie, autant j’ai été séduit par Seules les bêtes, film dont l’action se fonde également sur la résolution d’un mystère, mais au moyen d’une écriture autrement plus inventive et plus ancrée dans le monde d’aujourd’hui. Nul besoin ici d’un fin limier du genre Hercule Poirot ou Miss Marple, c’est le scénario lui-même qui, très habilement imaginé, nous conduit vers la solution de l’énigme.
Pour ce faire, Dominik Moll, cinéaste trop rare (dont j’avais beaucoup apprécié Harry, un ami qui vous veut du bien en 2000), s’est inspiré d’un roman de Colin Niel, paru aux éditions du Rouergue en 2017. C’est précisément sur le causse, là où subsistent quelques fermes et où ne résident que quelques habitants isolés, que nous entraîne le réalisateur. Un jour d’hiver, alors que tout est recouvert de neige, est retrouvée la voiture abandonnée d’Evelyne Ducat (Valeria Bruni Tedeschi), une habitante de la région. Les gendarmes se mettent à sa recherche, mais elle demeure introuvable.
C’est donc vers l’éclaircissement du mystère de cette femme disparue que nous mène l’intrigue savamment écrite du film. Pour y parvenir, le cinéaste se focalise, tour à tour, sur plusieurs personnages, tous liés, d’une manière ou d’une autre, à la disparition d’Evelyne Ducat. Chacun apporte donc ses propres éléments, son propre point de vue, ses propres zones de mystère, afin de cheminer jusqu’à la vérité. Certains éléments s’avèrent d’ailleurs trompeurs ou, en tout cas, dans un premier temps, ils sont mal interprétés, parce qu’ils ne sont d’abord perçus que du point de vue d’un des personnages. Ce n’est qu’à la fin du film que se résolvent toutes les énigmes.
Or tous les personnages, d’une manière ou d’une autre, souffrent de solitude ou d’insatisfaction. Tous sont comme des naufragés, tous ont une vie qui ne leur convient pas et sont donc en recherche d’autre chose. Joseph Bonnefille (Damien Bonnard) traîne son âme en peine dans une ferme très isolée. Michel Farange (Denis Ménochet) et sa femme Alice (Laure Calamy) ne sont pas davantage satisfaits ni de leur vie de couple ni de leur vie à la ferme. Quant à Marion (Nadia Tereszkiewicz), c’est une jolie serveuse qui s’est prise d’un amour fou pour Evelyne Ducat au point de tout quitter au nom de cette passion.
Tous sont donc liés, pour une part plus ou moins grande, à la disparition de cette dernière. Mais il reste encore un personnage, prénommé Armand (Guy Roger N’drin), qui, lui, réside bien loin du Rouergue, en Côte d’Ivoire, à Abidjan. Comment un Africain peut-il avoir un rôle à jouer, et un rôle qui n’a rien de mineur, dans la disparition d’une femme sur le causse ? C’est la trouvaille la plus étonnante de cette histoire et elle n’a rien d’incongru. Au contraire, elle est totalement plausible.
Car Armand est un de ceux qu’on appelle familièrement « brouteur », autrement dit un arnaqueur sévissant sur internet en se faisant passer pour quelqu’un d’autre, de préférence une charmante jeune fille, au moyen de photos et de vidéos suggestives. Il ne reste plus qu’à attraper le pigeon, l’homme européen en mal d’affection qui ne demande qu’à fantasmer sur la charmante femme qui se montre à lui sur son écran d’ordinateur et qui, bien sûr, ne tarde pas à lui demander les aides pécuniaires dont elle prétend avoir besoin.
Je ne peux en dire davantage, de peur de trop dévoiler l’intrigue du film. Certains spectateurs jugeront peut-être que cette histoire est tirée par les cheveux. Je pense, au contraire, que tout est crédible. Ce film donne, à sa manière, un aperçu de quelques réalités du monde d’aujourd’hui, de l’esseulement d’un grand nombre de personnes, de leurs fragilités, voire de leurs détresses.