Wes Anderson, c’est d’abord un style très marqué, immédiatement reconnaissable, parfois imité, jamais égalé. Au même titre qu’on reconnait un film de Jean-Pierre Jeunet à la première scène, on reconnait un Wes Anderson à la première minute. Il nous propose un film a sketches totalement barré et qui, pendant presque 2h, va nous emmener dans une ville française fictive des années 60-70, véritable métaphore d’un Paris totalement phantasmé : Ennui-sur-Blasé. Avant de revenir aux 3 sketches, à leur casting, à leur intrigue, il faut parler de ce qu’ils ont en commun : la forme. Il y a plein d’adjectifs que je pourrais employer pour décrire le style de « The French Dispatch », comme « ludique », « coloré », « décomplexé ». Mais pour faire court, je dirais que c’est audacieux. Les couleurs sont vives, les décors super kitchs, les reconstitutions improbables, la bande originale est très agréable (je retrouve le Alexandre Desplat que j’avais perdu avec « Eiffel ») agrémentées de tubes comme « Aline » ou de morceaux de Charles Aznavour. Wes Anderson ose tout, change de langue toutes les trois secondes, passe du noir et blanc à la couleur sans raisons, propose des passages en théâtre, d’autres en dessins animés, il déconstruit la chronologie de ses intrigues, passe d’un narrateur en « voix off » à un narrateur sur un plateau TV. C’est rythmé et rocambolesque comme un album de « Tintin » (mais Tintin qui aurait pris de l’acide), c’est picaresque par moment, souvent drôle, hyper décalé et même parfois subversif. En résumé, c’est tellement particulier que certains vont détester alors que d’autres vont adorer cette folie douce qui manque tellement au cinéma d’aujourd’hui. Moi, vous l’avez deviné, j’adore ! Un bon indice : vous avez aimé « The Grand Budapest Hôtel », vous allez adorer « The French Dispatch ». Après une introduction assez courte et très drôle de la Ville de Blasé-sur-ennui par le délicieux spécialiste tourisme (Owen Wilson, parfait), on est parti pour le premier sketch et je me demande si ce n’est pas celui que j’ai préféré. Un criminel dangereux incarné par un Bénicio Del Toro carrément flippant découvre l’art dans la prison-asile d’Ennui-sur-Blasé. Il est repéré par un codétenu évadé fiscal qui, à sa sortie, en fait une vedette de l’art moderne. Complètement grisé par la fortune, le critique en question (Adrian Brody) met la pression au détenu
qui va produire une œuvre majeure… et invendable !
Critique assez acerbe du marché de l’Art Moderne, le sketch est drôle et il fait mouche. Tilda Swinton en conférencière à l‘accent improbable et Léa Seydou en matonne sadique apporte une touche féminine un peu étrange dans cette rencontre improbable entre l’asile de fou et les riches collectionneurs d’Art Moderne. Le deuxième sketch est une relecture de Mai 68 assez grinçante, caricature d’une jeunesse intellectuelle gentiment révoltée qui construit des barricades, écoute des chanteurs à la mode et écrit des manifestes pompeux avec des mots compliqués. C’est Frances MacDormand qui, en journaliste, observe cette jeunesse d’un œil d’adulte. La jeunesse en question, c’est l’inévitable Timothée Chalamet et l’étonnante Lyna Khoudri,
qui joue (littéralement) aux échecs avec les pouvoirs publics, et qui perdent parce qu’ils sont déjà, entre eux, en bisbille.
C’est la vision totalement américaine d’un Paris des barricades, avec ses grèves, ses pavés et sa plage en dessous, le Mai 68 vue des Etats-Unis, des émeutes intellectuelles et un peu timides en comparaison avec les émeutes américaines de la même époque. Le troisème sketch, peut-être le moins réussi, met en scène un commissaire gastronome (Mathieu Amalric, toujours dans les bons coups)
dont le fils est enlevé par la pègre parisienne (haute en couleur comme vous l’imaginez), et qui va utiliser son cuisinier personnel pour neutraliser les ravisseurs.
Ce sketch-ci vaut surtout par la poursuite en voiture entièrement dessinée, tellement rocambolesque qu’elle aurait coutée trop cher à un cinéaste trop peu habitué aux cascades. Du coup, il la remplace par un dessin animé, c’est cool. Ce sketch-là est évidemment là encore la vision romantique de la gastronomie française par un journaliste américain totalement fasciné par l’importance (disproportionnée ?) que nous, français, accordons à la nourriture. Dans les trois cas (L’Art, la Politique, la Gastronomie), c’est la vision américaine d’un Paris improbable qui est mis en scène, et avec quel talent. Bien-sur, ne cherchez pas la crédibilité, le cynisme ou le réalisme ou quoi que ce soit de ce genre dans « The French Dispatch », voyez-y plutôt une sorte de tableau mi-impressionniste mi-abstrait de ce que nous sommes. Et puis, vous pouvez jouer à un autre jeu : repérer les acteurs et actrices français qui font des apparitions, parfois de quelques secondes, parfois sans aucun texte : Guillaume Galienne, Cécile de France, Damien Bonnard, Hyppolyte Girardot, Denis Ménochet, Benjamin Lavernhe, Pablo Pauly, Félix Moati, ils sont nombreux au casting de « The French Dispatch ». Ca aussi, je trouve, c’est une forme d’hommage à la France.