Découvrir un nouveau film de Wes Anderson, c’est toujours aller au-devant de l’inconnu, du loufoque parfaitement maîtrisé et d’une esthétique à vous dilater les mirettes. De ce point de vue, le dernier opus du maître de l’étrange ne déroge nullement à la règle. Cette fois-ci, Wes Anderson opte pour le film à sketches : quatre chapitres en forment la structure narrative, correspondant à autant de reportages signés par les journalistes d’une dépêche franco-américaine, The French Dispatch of the Liberty, Kansas Evening Sun.
Une petite ville française au nom qui en dit long sur la gaieté qui y règne – Ennui-sur-Blasé – en constitue le cadre : dans la réalité, il s’agit d’Angoulême dont le choix n’est peut-être pas sans rapport avec un certain festival internationalement connu qui s’y déroule et qui ne peut qu’intéresser vivement le cinéaste, amateur comme chacun sait de BD et de dessins animés.
Des quatre sketches présentés le deuxième est de loin le plus séduisant et le plus loufoque. Un dangereux psychopathe (Benicio del Toro) incarcéré dans la prison locale se révèle être un peintre aussi étonnant que fécond. Seulement voilà : son génie ne parvient à s’exprimer que lorsque sa gardienne (Léa Seydoux) pose devant lui entièrement nue. N’en disons pas davantage : il y a de quoi se réjouir. Le second sketch explore un passé explosif, celui de mai 68. La jeunesse y trouve son compte, en particulier sur le plan sexuel : Timothée Chalamet, une fois de plus, est parfaitement convaincant face à une Frances McDormand dont le rôle peut surprendre, mais les surprises sont de rigueur chez Wes Anderson. Enfin le quatrième sketch, tout en rassemblant des acteurs aussi émérites que Mathieu Amalric, Jeffrey Wright ou Steve Park, se perd dans les méandres d’un polar qui a de quoi lasser même si tous les procédés techniques sont utilisés avec brio, y compris le dessin animé auquel s’adonne le cinéaste avec un infini plaisir.
Car c’est bien là que le bât blesse : trop c’est trop. Trop de virtuosité fatigue. Wes Anderson est un virtuose qui peut tout se permettre : à tous les coups il gagne. Mais voilà : tout ce défilé d’images qui circulent à toute allure finit par sonner désespérément creux. Si les sketches du prisonnier psychopathe et de mai 68 ont de quoi séduire, le dernier s’étire en longueur et cesse d’intéresser le spectateur. D’autant que le rythme du film ne permet pas au spectateur de souffler. On a du mal à se faire à cette exigence qui fait se succéder des tableaux toujours impeccablement construits à une vitesse grand V, ce qui exclut toute possibilité de contemplation. Or, avouons-le, nous aimons par-dessus tout contempler les plans cinématographiques, surtout lorsqu’ils sont de qualité comme c’est ici le cas. On ressort de la séance un peu comme si l’on avait vu un immense tableau baroque chargé de mille et un personnages mais dont finalement on ne peut rien retenir.
Dommage car la distribution a de quoi faire des envieux parmi la gent cinéaste. Bill Muray en rédacteur en chef, voilà qui nous plaît, de même que tous ceux dont il a été question précédemment, auxquels il faut ajouter Adrien Brody (dans le rôle d’un galeriste), Christoph Waltz, Owen Wilson… N’en jetez plus : comme pour tout, Wes Anderson ne fait pas dans la demi-mesure. Cette surcharge d’acteurs n’a finalement rien de bon, certains rôles apparaissant comme de simples clins d’œil ou comme des caprices de cinéaste comblé.
En revanche, on ne peut qu’apprécier cet hommage que Wes Anderson rend à la culture française et en particulier à son cinéma. De Tati à Renoir, en passant par la Nouvelle Vague mais aussi par les maîtres français du polar cinématographique, le cinéaste américain ne cesse de multiplier les références plus ou moins explicites.
Bref, si Wes Anderson demeure un artiste atypique, diantrement intelligent et prodigieusement doué, si son souci d’esthétisme ne saurait être remis en cause, on ne peut que souhaiter pour un prochain film qu’il renoue avec la délicate poésie de Moonrise Kingdom qui nous avait tant séduits voilà près de dix ans. Mais pour cela il doit d’une part se faire plus modeste dans ses ambitions et surtout renouer avec un rythme qui permette au spectateur de profiter pleinement des merveilleux tableaux qu’il compose.