Attention, malgré son titre très évocateur, Ouistreham n’est pas une simple transposition à l’écran du récit journalistique de Florence Aubenas Le quai d’ Ouistreham, paru en 2010. Même s’il reprend le même concept et le même point de départ (tout comme la ville où se déroule l’action, Caen), il ne faut pas s’attendre à une simple mise en images du livre. Et d’ailleurs ne pas l’avoir lu ou entendu parler n’est pas vraiment un handicap pour appréhender le film, ça serait même presque le contraire.
Revenons-en donc à Ouistreham et dévoilons donc ce fameux concept, puisque le film le fait lui-même d’emblée. Pour les besoins d’un livre, une écrivaine parisienne de renom décide se faire embaucher, de façon anonyme, comme femme de ménage en intérim, afin de donner plus de vérité et d’authenticité à son futur récit. Au concept de l’histoire fait écho celui du film : Juliette Binoche étant la seule comédienne professionnelle au milieu de personnes jouant leur propre rôle. Un dispositif qui n’est pas sans nous rappeler celui de La loi du marché, chef d’œuvre sorti en 2015. Les deux films sont d’ailleurs assez complémentaires : aux visées existentielles de Stéphane Brizé, Carrère propose, du moins dans un premier temps, quelque chose de beaucoup plus terrien.
La première bonne surprise du film, c’est que Juliette Binoche, qui traîne parfois une image de parisienne fragile, s’avère être parfaitement convaincante, non seulement en alter-ego d’Aubenas, mais aussi dans la peau du personnage inventé par cette dernière. A savoir une femme un peu paumée et cabossée par la vie, qui débarque, à l’aube de la cinquantaine, dans une ville qu’elle ne connaît pas et fait des ménages pour survivre.
Cette interprétation sans fausse note est la première bonne surprise du film, mais ce n’est pas la seule, car tous les autres personnages sans oublier les décors, les situations et les dialogues, sont tout autant criants de vérité. A tel point qu’ Ouistreham n’aurait pu être que ça : une sorte de documentaire haut de gamme sur la précarité en province recouvert d’un vernis de fiction pour le rendre plus classe et plus emballant.
Ça aurait déjà été pas mal, sauf qu’ à un quart d’heure de la fin, le film bascule et passe dans une autre dimension. Survient alors une mise en abyme passionnante. Soudain notre repère ce n’est plus l'écrivaine observant, avec un mélange de curiosité et de bienveillance, ce monde si différent du sien. Les points de vues s'inversent et le personnage principal du film n’est peut-être pas celui à qui l'on pensait. Un film vertigineux et passionnant.