Ce film est une libre adaptation du succès en librairie de Florence Aubenas, « Le quai de Ouistreham » par un écrivain devenu réalisateur, Emmanuel Carrère. Avec Juliette Binoche en lieu et place de la journaliste qui s’était infiltrée dans le quotidien de ces femmes de ménage de manière anonyme. Il y a donc pas mal de jeu de miroirs dans « Ouistreham », surtout que le cinéaste s’est entouré d’une troupe d’acteurs (enfin plutôt des actrices) non professionnel(le)s. Son film hésite constamment entre la fiction et le documentaire de par son origine et sa facture initiale. C’est peut-être d’ailleurs son principal et relatif défaut, il a le cul entre deux genres. D’un côté, le scénario adapté du livre n’est pas assez ample en développements pour supporter une fiction de près de deux heures. Il est trop linéaire, trop simple. D’un autre côté, en imaginant un passé et des relations pour des personnages inventés à partir de la vie des acteurs amateurs qui les jouent, le film fuit le documentaire. Cela brouille les pistes et aboutit à un film cohérent envers son propos mais à la forme bicéphale et schizophrène.
Cependant, si cela peut perturber un petit moment notre engagement dans le film, cela ne joue en aucun cas en défaveur de « Ouistreham » et ne nuit pas du tout à sa puissance dramatique et sociale. Au contraire, ça le rend original et surtout vrai. D’une vérité naturaliste comme on en voit très peu au cinéma. Bien sûr, cela est majoritairement dû au jeu magnifique de ces véritables petites fourmis du ménage. Humbles, touchantes, plus vraies que nature, ces invisibles nous enchantent par leur sincérité de jeu. Et leur sincérité tout court même. Elles illuminent le long-métrage par leur naturel et leur performance transpire leur réalité : elles ne jouent pas, elles sont. Juliette Binoche et son métier n’ont plus qu’à suivre. Le film montre parfaitement la précarité de ces petites gens et l’impossible réconciliation sociale. La fin est à ce titre édifiante. En évitant intelligemment un happy-end certes salvateur mais hypocrite, elle prend un risque mais qui s’avère logique et crédible. Une fin qui tombe comme un couperet et conclut cette œuvre de manière pessimiste.
« Ouistreham » pourrait être vu en complément de « Un autre monde », autre film social fort qui parle des ravages du capitalisme sauvage mais vu d’en haut et qui sort mi-février. Ici, on comprend bien que dans nos sociétés deux mondes cohabitent et ne cessent de collapser. Il y a aussi beaucoup de Ken Loach ou de Mike Leigh ici, et le cinéma social français semble tout aussi vigoureux que le britannique. On pense aussi au magnifique « Les Invisibles », mais ici le trait est moins joyeux, plus amer et sombre. Certainement plus réaliste aussi... On apprécie également pour qui ne connaît pas le matériau de base de ce film, le petit rebondissement du début ainsi que le thème musical, enivrant et triste à la fois, qui enrobe le long-métrage. C’est du beau cinéma, utile et nécessaire, surtout en ces temps de plus en plus troubles et qui nous rappelle que la beauté vient le plus souvent des gens d’en bas. En prime, une histoire d’amitié simple, belle et juste malgré qu’elle soit contrariée. Du beau et grand cinéma social en somme.
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