1er avis
Pendant le film j'ai eu la sensation d'un sujet éculé, la Shoah, les nazis. À cela s'ajoutait une redondance, leitmotiv de filmer en contrechamp (bonne idée pour un temps, mais tout du long?) les horreurs d'Auschwitz. Et puis il y a eu la fin et le souvenir des sons de Mica Levi, une fois encore formidables, qui m'a laissé sur une note soudaine très positive envers ce film. Mais le soufflé est déjà retombé pour moi. Je ne l'ai pas trouvé mauvais, juste trop peu dense. Pourtant Mica Levi et sa BO sont prêtes à nous faire partir d'une feuille blanche, du néant, comme pour Under the Skin, précédent film de Glazer. Mais ces cassures quasi expérimentales s'évaporent aussi vite qu'elles sont espérées. Il n'y aura pas de libertés visuelles couplées au son qui auraient pu par le choc esthétique induit nous ouvrir sur des abysses de réflexions comme une fois encore Under the Skin le faisait de manière extraordinaire. Il n'y aura que le final
avec ce dialogue paranormal impossible entre présent et passé - retranscrit par ce SS qui ne peut dégobiller le vertige de ce temps de l'horreur auquel il participe -
pour donner un peu de créativité affranchie, pour donner un peu de l'insondable et de l'indicible au fond du film.
Reste enfin peut être le plus terrifiant de Zone of Interest: sa reprise possible par la propagande du gouvernement de Netanyahou à des fins de justification du génocide palestinien en cours. Pourtant il est impossible à moins d'être aveugle de ne pas y voir certains parallèles, l'installation de colons israéliens en terres palestiniennes, leur espace vital à eux, la verdure et le confort d'un côté, un territoire emmuré, aux crimes cachés au public, privé de presque tout, de l'autre. Nous devrions toujours tirer les mêmes conclusions des actes les plus abominables. Si, je dis bien si, ce film doit avoir une utilité c'est peut être dans sa manière, certes peu perceptible, de montrer que plus le capitalisme est triomphant, plus les riches sont puissants, plus le fascisme est possible et tous ses massacres qui vont de pair. Vient ensuite l'examen de conscience. Qui ne serait pas prêt à commettre indirectement si ce n'est même frontalement des horreurs pour s'assurer statut social et économique ? Si ce n'est l'ascenseur qui nous élèvera comme les dominants nous le font miroiter, pourquoi pas une chambre à gaz ? Plutôt qu'un appel à l'autoflagellation, acte stérile par excellence, je préfère y voir un appel à la lutte contre ce système néo-liberal permettant aux ultras riches d'exister, ce qui nous prive de fait, de la possibilité d'un monde où ces horribles questions ne rimeraient à rien.
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2 semaines après mon premier ressenti, Zone of Interest me laisse un goût encore plus amer. Là où je n'avais eu essentiellement qu'un début d'ennui et de la déception, s'ajoute un malaise. À la réflexion, n'user que d'un effet, celui du contrechamp et l'esthétiser au maximum avec une mise en scène quasi clipesque me pose de gros soucis. Pour le dire autrement, la mise en scène prime sur tout, elle est très maniérée, trop pensée à dessein. Glazer semble nous dire ici : "Regardez comme j'utilise le langage cinématographique pour vous impressionner. Regardez comme je flex !" Alors oui copain quand tu pars d'une feuille blanche comme pour Under the Skin ça peut créer un chef d'oeuvre, mais là il y a un sujet de base qui s'ancre dans le réel et qui raconte une histoire qui a existé. En voulant parler de ce passé tu ne peux pas juste l'utiliser pour montrer tes capacités. Et encore je ne suis même pas sûr de ce que j'avance. Car si ses capacités avaient été présentes on aurait eu des moments du niveau de sidération de Under The Skin, on aurait eu de l'expérimentation. Et de là du fond peut naître, c'est à dire de la réflexion, et servir le propos. Or on a que des effets m'as-tu-vu, faciles, dont on ne tire rien.
Il fallait accompagner l'histoire, l'éclairer la plus possible. C'est un travail quasi d'auteur de documentaires couplé à celui d'un artiste jusqu'au boutiste et non celui d'un simple réalisateur pensant avant tout à l'effet qu'il peut produire chez le spectateur qui pouvait faire de ce film un chef d'oeuvre. Et Glazer n'est pas ici un Frederick Wiseman, un Herzog ou un Lynch mais plutôt un Winding Refn dans ses mauvais jours.
Et donc ce film se veut-il être un travail de mémoire? Le peut-il seulement si l'ego du réalisateur passe avant ? J'y vois davantage une volonté d'esthétiser l'Holocauste et de s'asseoir dessus pour faire un film clinquant. Si le film veut vraiment parler du nazisme, qu'il montre aussi ses horreurs, salement et frontalement, comme la réalité l'a été, au lieu de n'être qu'un bel écrin pour nous donner notre dose de frissons, de "whaou", notre dose de sucre en dévorant une belle pâtisserie. Nous voilà repus mais nauséeux avec les mains sales.
Zone of Interest ne fait pas réfléchir, ne fait pas travailler notre conscience, il joue juste avec nos émotions. Le fascisme ne sera jamais combattu avec une oeuvre qui ne fait pas travailler notre réflexion. Pire, comme ce film, tout fascisme se base sur l'absence de réflexion et l'exaltation du pulsionnel. Une réaction sans conscience, nous abêtit, exalte la peur et la violence ce qui en définitive permet aux régimes fascistes de naître puis de perdurer.