Matthias et Maxime, meilleurs amis depuis l’enfance, s’embrassent pour les besoins d’un court métrage amateur. Maxime prépare son départ prochain pour l’Australie. Ce baiser change tout. Tous ces mots n’étaient pas nécessaires pour décrire la baseline de Matthias et Maxime. C’est une histoire d’amour entre deux amis.
Le scénario suit une ligne simple, “modeste” disent certains, qui tient pourtant toutes ses promesses. Xavier Dolan excelle en frustrant l’attente de son spectateur. Il ne montre pas le baiser qui déclenche la ligne narrative du film (ou alors si peu, dans le reflet d’une porte vitrée, lors de la ‘première’ du film). Il retarde au maximum les retrouvailles des deux personnages. Le spectateur ronge son frein, désespère de voir que les événements se décalent, que le départ de Maxime approche, que les opportunités de s’aimer ne sont pas saisies. Comme dans toute bonne histoire d’amour impossible, les personnages résistent, le spectateur souffre. Enfin, les retrouvailles adviennent, et c’est une explosion de sensualité, très fidèle à la générosité et à la fougue habituelles du cinéaste.
Le film pourrait avoir deux points de vue, celui de Matthias et de Maxime, en réalité il adopte surtout celui du premier. Des deux, c’est le plus hétéro-normé. Carré, sportif, dominant, c’est lui qui est le plus déboussolé par ce baiser, lui dont la trajectoire dévie le plus. C’est un personnage quasiment sans mots du début à la fin du film (lorsqu’il s’exprime lors du pot de départ de Maxime c’est une catastrophe) mais des jolies idées de scénarios expriment son trouble. Au petit matin qui suit le fameux baiser, n’arrivant à dormir, il part nager et se perd littéralement dans le lac. Puis il essaye d’échapper au trouble, puis il devient agressif. (Et puis il cède 😉 ).
Une grande partie de la réussite du film, outre la construction très fine du scénario et son effet d’attente, tient à la prestation des acteurs et notamment à celle de Dolan lui-même. Il n’est pas si différent des personnages qu’il a déjà incarné dans ses propres films, mais parfait. Homme-enfant, un peu perdu, Maxime doit assurer le rôle de tuteur de sa mère mais a lui-même de grandes fragilités, symbolisées par la tache de vin qui lui fait une gigantesque larme de sang sur la joue. Il est à la fois plus enfantin et plus serein que Matthias, son corps est plus troublant. Il aimante tous les regards (la caméra le dévore), la psychologie de son personnage est plus complexe (on lit plus facilement Matthias). Parfois, on perçoit un coup d’oeil qu’il jette sur son ami, ouvrant une fenêtre sur son propre trouble. Dolan semble avoir été beaucoup inspiré par la mise en scène de Kechiche, et notamment par La Vie d’Adèle. J’y ai pensé, à des moments clés du film, parce que ce sont parfois des détails du cadre qui changent le sens du scénario (un coup d’oeil, un reflet). Mais également parce que le désir explose un peu selon les mêmes codes réalistes, jeu d’acteur et dialogues. (Kechiche que j’ai tant aimé, qu’on a perdu au dernier festival de Cannes visiblement.)
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