Les films de procès, ceux dont les scènes sont tournées, pour la plupart, à l’intérieur d’un tribunal, sont un genre à part entière, déjà souvent exploité au cinéma. Le scénario de La Fille au bracelet, lui-même inspiré d’un film argentin (Accusada de Gonzalo Tobal), aurait sans doute parfaitement convenu à quelqu’un comme André Cayatte (1909-1989), cinéaste qui s’était spécialisé dans ce genre-là. Pour réussir les films de cette sorte, pour les rendre réellement captivants, la condition sine qua non, c’est de réunir une distribution sans défaut. Les interprètes doivent être choisis avec un soin extrême, me semble-t-il, et c’est, sans nul doute, le cas en ce qui concerne le film de Stéphane Demoustier.
On n’y décèle aucune erreur, aucune défaillance. Le réalisateur ne s’est pas trompé en confiant à sa sœur Anaïs Demoustier le rôle de l’avocate générale : son inflexibilité et son acharnement lui vont comme un gant. Il n’a pas davantage failli en choisissant Annie Mercier en tant qu’avocate de la défense : chacune de ses interventions fait sensation. Quant aux parents de l’accusée, on ne pouvait rêver mieux que Roschdy Zem en père bien décidé à rester, quoi qu’il arrive, aux côtés de sa fille, et Chiara Mastroianni en mère déboussolée qui, dans un premier temps, préfère ne pas se rendre au procès, puis se ravise, ce qui donne lieu à un échange dérangeant avec le président du tribunal (Pascal-Pierre Garbarini).
Mais la réussite la plus flagrante du film, c’est le choix de Mélissa Guers, nouvelle venue au cinéma, dans le rôle de Lise, jeune fille de 18 ans, accusée d’avoir assassiné, deux ans plus tôt, celle dont elle affirme qu’elle était sa meilleure amie, Flora. Ce personnage, elle le joue à la perfection, en conservant, presque d’un bout à l’autre, un visage presque fermé, opaque, énigmatique. Il n’y a qu’à la fin du film où, enfin, quelque chose change : des sentiments, des émotions se manifestent, là où l’on croyait qu’il n’y avait qu’une sorte de carapace.
Le film décortique, en quelque sorte, la tenue d’un procès et en dévoile les terribles implications. Flora a été assassinée deux ans avant le procès, ce qui signifie qu’à l’époque, Lise n’avait que 16 ans. Or ce sont des pans entiers de sa vie, de ses comportements les plus secrets, qui sont exposés au tribunal, sans pudeur, y compris, chaque fois que c’est possible, au moyen de vidéos, les jeunes de cet âge étant assez friands de cette pratique. Or, l’un des chefs d’accusation repose précisément sur une vidéo à caractère pornographique. Tout cela est exhibé en public, non seulement aux yeux des jurés, mais aussi à ceux du public, parmi lesquels le père, puis également la mère, de Lise.
C’est d’ailleurs l’un des grands points forts du film, que de signifier l’étonnement des parents qui étaient loin de tout savoir au sujet de leur fille. « Que savons-nous des adolescents de 16, 17 ou 18 ans ? De leurs pratiques, de leurs amours… ? », demande, très justement, l’avocate de la défense au cours de sa plaidoirie. Les parents connaissent-ils leurs propres enfants ? Rien n’est moins sûr. Peut-être que ce qu’ils savent peut se comparer à la partie visible d’un iceberg, rien de plus. Quoi qu’il en soit, le remarquable film de Stéphane Demoustier nous fait ressentir, de façon impressionnante, à la fois ce que c’est que d’être un juré de cours d’assises et ce que c’est que d’être un parent subitement confronté à des révélations pour le moins gênantes et inattendues concernant un de leurs enfants. On ne ressort pas d’un tel film sans en être profondément bouleversé.