Stéphane Demoustier nous offre un « court movie » qui ne manque pas de qualités. Dans sa forme tout d’abord, il n’a pas peur de dépouiller son film des artifices habituels, à l’image de sa scène d’ouverture. Une jeune fille est appréhendée sur la plage, on suit la scène de loin, les dialogues sont couverts par le bruit de la mer, on distingue juste des mots « judiciaire », « suivre »…, le ton est donné. Peu de musique, juste par petites touches et jamais pendant les scènes clefs, Demoustier n’a pas peur de laisser des longs silences s’installer, ce qui a pour effet d’alourdir encore davantage certaines scènes de procès. C’est rare le silence au cinéma, sans musique, sans bruits de fond, sans rien. Il nous offre un film assez court, il alterne les scènes de cour et les scènes en famille, et le malaise est palpable dans les deux cas. Pas d’ennui, pas d’intrigue compliquée, pas de rebondissements comme dans un thriller, ici la justice est présentée dans son simple appareil. Je remarque quand même qu’il joue beaucoup avec les reflets, les vitres des voitures, des fenêtres, des box pare-balle, et il y a peut-être une volonté de montrer par ces petits effets qu’il y a deux vérités, la vraie et celle qui se reflète dans le verre, légèrement déformée. Mais bon, j’extrapole peut-être complètement, allez savoir…Quoi qu’il en soit, « La Fille au Bracelet » est un film soigné, il se passe des choses en arrière plan, certaines scènes cruciales ne sont montrée que par le son et sans l’image, on sent que Stéphane Demoustier a bien mené son affaire et est resté fidèle jusqu’au bout à son idée : montrer une justice froidement neutre (à l’image des témoignages des experts) mais surtout désemparée devant un crime inexplicable, une accusée insaisissable et une génération dont elle ne comprend pas les codes. Pour l’incarner, cette adolescence « inconnue », il a choisie une jeune actrice inconnue aussi et qui fait très bien e le job : Mélissa Guers. Ce n’était surement pas facile d’incarner cette jeune fille qui ne montre pas d’émotions (dont on se demande si elle en éprouve même d’ailleurs), ne semble pas mesurer ce qu’elle risque, ni où se situe la frontière entre le Bien et la Mal. Il fallait composer ce personnage sans avoir l’œil vide pour autant, faire passer des émotions à travers un personnage qui les retient toutes, pas évident pour une jeune actrice et elle s’en sort très bien. A ses côtés, une Anaïs Demoustier combative en avocate générale (un peu jeune peut-être pour ce genre de rôle), Anne Mercier en avocate pugnace et les parents : Roschdy Zem et Chiara Mastroianni. Pour eux, c’est surement difficile à jouer aussi, lui ne reconnais plus sa fille dans le portrait qui en est fait, et
on sent qu’il doute parfois, par petites touches, de son innocence. Sa mère, encore plus insaisissable que sa fille, est carrément absente des premiers jours du procès, ce qui est difficilement compréhensible.
Ce n’est que quand on lui demandera de s’en expliquer que l’on comprendra enfin la profondeur du désarroi dans laquelle cette affaire l’a fait tomber. Zem et Mastroianni sont évidemment très justes dans ces rôles difficiles. L’intrigue du film se cale sur le procès, de son premier jour jusqu’au verdict, elle nous met plus ou moins la peau du juré d’assise. Le procès, et donc le scénario, ne nous donne pas toutes les clefs pour déterminer si oui ou non, cette gamine de 16 ans à poignardé à 7 reprises sa meilleure amie.
Ce qui est au cœur du film, c’est l’incompréhension du monde des adultes qui regarde une jeunesse à laquelle il ne comprend presque rien. Les explications lacunaires de Lise et des témoins de son âge, nous plongent au cœur d’un monde qu’en tant qu’adulte, on ne comprend pas : on ne comprend pas leur codes, leur priorités, leur sexualité, bref, leur fonctionnement. Le tribunal, les parents de Lise, l’avocate générale, les jurés et les spectateurs de la salle de cinéma : tout le monde à la même enseigne : mais qu’est ce qui se passe chez ces adolescents ? A la fin du film, justice est rendue, un verdict est prononcé mais toutes les questions demeurent et elles nous trainent dans la tête. Plusieurs jours de procès et on n’aura aucune certitude, tout sera affaire d’intime conviction. De ce point de vue le scénario est malin et distille le malaise de la première image à la dernière scène, on n’est ni dans un thriller, ni dans un polar, mais dans l’autopsie d’une jeunesse insaisissable, floue, indéchiffrable. Il y a quand même quelques petites choses qui me gênent, par exemple pourquoi il y a du public alors que nous sommes devant une cours d’assise des mineurs et que tout devrait se dérouler à huis clôt ?
Mais ce sont des détails qui n’entachent pas la bonne impression d’ensemble de ce film sobre et puissant, bien incarné, techniquement maitrisé. Il suscité chez le spectateur beaucoup de sentiments dérangeant, contradictoires pendant la séance et il pousse à la réflexion même après la sortie de la salle, ce qui la marque des films qui ont fait mouche.