Je ne sais pas comment, vous, vous choisissez les films que vous allez voir, mais moi ça se résume souvent à la même méthode. Je vais sur Allociné, je regarde les films à l’affiche cette semaine, et j’essaye de voir ce qui attire mon attention : une affiche ou un pitch sexy ; un nom d’auteur que je respecte ; des échos positifs que j’ai reçu de la part de mon entourage… Là, concernant cette « Insulte », à la lecture de la page, rien n’avait tilté. Ni l’affiche, ni l’auteur, ni un quelconque écho. J’ai skippé l’existence de ce film en à peine dix secondes et je suis passé à autre chose… Et puis, il y a quelques jours, un ami m’apprend que ce film a été mené par le réalisateur de « Baron noir », série que j’adore. Il m’apprend aussi que, par curiosité il est allé le voir, et qu’il a été saisi par l’efficacité de ce film. Du coup j’y suis allé à mon tour et… « Ouah ! » Et dire que j’ai failli passer à côté de ça ! Parce que mes ami(e)s, voilà là un film qui cache vraiment bien son jeu ! En tout cas, les premières minutes laissaient présager un film bien sage et plat. La réalisation était propre mais sans réelle inventivité. L’écriture était sans fioriture mais apparaissaient malgré tout bien convenue. On nous présente très vite le parcours croisé entre deux hommes. Les personnages disent en quelques minutes ce qu’il y a à savoir d’eux. On comprend rapidement que le cœur de l’intrigue va se construire autour d’une tension anodine entre ces deux individus. Bon… Pourquoi pas… Même si j’appréciais qu’on ne perde pas de temps dans une phase initiale interminable, je me disais malgré tout que ce film ne semblait pas non plus calibré pour aller au-delà de la simple fable sociale exotique ; du genre de celles dont le petit monde parisien aime bien se nourrir quelque-soit la qualité du spectacle proposé. Mais bon, comme je vous le disais juste à l’instant, cette « Insulte » cache vraiment bien son jeu. Ou pour être plus exact, elle sait faire beaucoup de choses très subtiles avec pourtant beaucoup de sobriété. Car à dire vrai, elle est là la grande force de cette « Insulte » : de pas grand-chose va permettre d’émerger quelque-chose de bien plus grand, aussi bien au niveau de l’histoire qu’en termes de cinéma. Très rapidement, on se rend compte qu’aucun détail n’est laissé au hasard. Chaque élément apporté n’est qu’une strate qui n’attend qu’à être recouverte par une strate supplémentaire qui va nuancer et complexifier notre vision de cette situation. D’une certaine manière, ce film m’a tout de suite fait penser à deux autres. Le premier est tout récent puisqu’il n’est sorti qu’il n’y a que quelques semaines : c’est « 3 Billboards ». J’y ai retrouvé le même souci de ne voir aucun gentil ni aucun méchant, juste des personnages qu’on apprend à redécouvrir en permanence au regard d’images et de faits nouveaux. Ce dynamisme là, qui ne s’arrête qu’une fois le film fini, je trouve que c’est déjà une première grande force de cette « Insulte. » Mais il y a aussi cette deuxième grande force qui me rappelle un film plus ancien – et j’ai conscience que la comparaison risque de surprendre – c’est le « Un prophète » de Jacques Audiard. Même si ces deux films racontent deux histoires qui n’ont rien à voir et suivent des démarches formelles différentes, il y a quand même un point commun que je leur trouve, c’est cette manière qu’ils ont eu d’enrichir tous les deux leur forme. L’un et l’autre commencent avec une réalisation dépouillée et puis, progressivement, plus l’histoire s’épaissit, plus le film adopte des artifices auxquels il ne s’était pas risqué auparavant. Usage de la musique, plans contemplatifs, flash-backs, inserts, montage plus nerveux… En cela la symbiose est parfaitement gérée et nous amène à une montée en puissance d’autant plus efficace que celle-ci accompagne un propos d’une REMARQUABLE subtilité. Parce que l’air de rien, cette « Insulte » met les pieds dans un plat très délicat. Traiter de la question israélo-palestino-jordano-libanaise, c’est juste très chaud. Non seulement c’est une question très riche, très complexe, mais qui en plus raisonne très fraichement dans nos esprits. Avoir du recul et de la lucidité là-dessus sans glisser sur une peau de banane idéologique, dogmatique, émotionnelle, ce n’était vraiment pas partie aisée. Or, la grande force de Ziad Doueiri, c’est qu’il est parvenu à traiter tout cela sans réel tabou, tout en évitant toute forme de jugement. Et je trouve ça justement très intéressant qu’on ose ça dans un film qui centre pourtant toute son intrigue autour du « jugement » d’un acte. Toute la démarche des protagonistes est justement de chercher à qualifier et à juger des faits et des gens. Et que le film parvienne à aborder ça sans jugement, ou plutôt en parvenant à montrer que le jugement n’est pas la meilleure démarche à adopter pour aborder cet affaire, je trouve ça juste génial et incroyablement lucide.
Au final, ce film donne même l’impression de nous dire que le problème de tout le Moyen-Orient, c’est sûrement cette logique de jugement. Qui a agressé le premier ? Qui était légitime à se sentir agressé ? Qui du coup faut-il punir ? Que le film soit parvenu tout au long de son parcours à légitimer la souffrance de chacun tout en démontrant l’absurdité de chercher absolument des coupables, même quand ceux-ci ne sont plus là, j’ai trouvé ça brillant. Et j’ai trouvé ça brillant parce que, pour le coup, ce n’était pas qu’un discours prononcé, c’était un parcours émotionnel qui a été mené. Au moment même du verdict, on sentait déjà que l’issue du jugement n’était plus importante. D’ailleurs, à l’annonce du « non coupable » chacun parait triste et soulagé à la fois. La solution n’a pas été dans le jugement, mais juste dans la reconnaissance par chacun de qu’il est et de qu’il endure.
Ce film, je l’ai trouvé incroyablement humain, et d’autant plus efficace qu’il est parvenu à développer un vrai propos très complexe sans qu’on le perçoive comme du simple texte sur l’image. Non, c’était incarné. C’était sobre. C’était pesé. Ziad Doueiri s’est totalement mis au service de son film avec une magnifique humilité, mais non sans fuir ses responsabilités « d’artificier ». En tout cas, une chose est sûre, la prochaine fois que Ziad Doueiri fera un film, quand je regarderais les sorties de la semaine sur Allociné, la seule vue de son nom me fera tout de suite tilter… Bon alors après, ce n’est que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)