On savait que les mots peuvent être des armes, qu’ils peuvent provoquer des querelles, des affrontements. Particulièrement lorsqu’ils tirent leur virulence des drames du passé, lorsqu’ils y puisent leur venin avec rancœurs accumulées, incompréhensions refoulées, injustices enkystées.
Au Liban depuis un demi-siècle, les souffrances s’accumulent pour tous. Pour les Palestiniens réfugiés comme pour les chrétiens devenant minoritaires. Les uns enragent de leur terre perdue, dérobée. Les autres s’insurgent d’être peu à peu dépossédés de leur berceau, de leur clocher, de tout ce qui faisait leur particularité au Moyen-Orient.
Alors, un « Sale con », ce qui serait en France une banale insulte entre automobilistes, prend vite là-bas entre deux hommes de deux communautés qui s’opposent, des dimensions internationales. Une allumette dans une poudrière. Ce qu’on pourrait d’abord prendre pour de vulgaires orgueils masculins où chaque virilité refuse bêtement de céder à l’autre, s’avère in fine un concentré des conflits non apaisés de l’histoire récente.
De cette histoire particulière de querelle entre deux egos ( Yasser l’exilé palestinien et Toni le chrétien maronite), le réalisateur Ziad Doueiri nous dévoile peu à peu les drames sous-jacents qui tirent toutes les ficelles. Comment chaque homme vit avec une vieille boule bloquée au travers de la gorge. Le caractériel des individus n’est jamais seul, il invite à ses douloureux débordements le social, le religieux, le guerrier, le politique. C’est ce que montre si bien le film.
Concernant le Liban d’aujourd’hui, le propos du film peut parfois surprendre car il lève le voile sur quelques tabous. D’abord, justement, la véhémence souvent tue de cette opposition entre deux communautés. Aussi l’argument maintes fois répétés par le film que les Palestiniens jouissent d’un certain régime favorable, non bien sûr pour ce qui est des souffrances de leur exil forcé, mais parce qu’ils seraient les seuls à pouvoir arborer un statut de martyr, à avoir le droit d’être plaints. Alors que la guerre civile a fait tant d’autres victimes, elles auraient moins la parole. Les chrétiens libanais, eux, semblent mal supporter que l’on taise par exemple le massacre de la ville de Damour, perpétré contre eux par des milices palestiniennes en 1976. Mettre en cause l’attitude de certains Palestiniens est vite soupçonné du choix du camp de d’Israël…
Les guerres civiles laissent des empreintes longues et complexes, et malgré la dramaturgie intense du film, c’est tout son mérite d’éviter de prendre parti pour Yasser ou pour Toni. Il s’agit au contraire de montrer combien des individus peuvent être juste victimes d’enjeux quasi mondiaux qui les dépassent, combien chaque honnêteté peut contredire l’autre lorsqu’elle est aveuglée par ses refoulements. Par petites touches, le film considère ainsi chaque personnage avec une même affection compréhensive.
On peut certes regretter une fin un peu ingénue, ainsi qu’une certaine simplification des complexités politiques du Liban (quid des différents partis chrétiens, de la position des musulmans non palestiniens…). C’est ce que déplore l’excellent papier de Critikat. Mais un film n’est pas un essai littéraire, forcément il abrège et schématise. Il faut bien personnifier les idées, donc les réduire pour donner l’intensité dramatique propre à nous faire vibrer, nous spectateurs. Et dans cette perspective, le film est une totale réussite.
Une vidéo sur la situation au Liban après la guerre civile sur mon blog alpha-pixel.blogspot