Le débat est ouvert, le sujet est fermé. La parole est ouverte, les yeux sont fermés. L’oppression, c’est un signe avant-gardiste d’agression, de persécution et de domination. La paix est un fardeau qui, comme le bien et le mal, est une question de point de vue. Kathryn Bigelow a la furieuse réputation d’aborder le genre de thème qui porte à réflexion, mais qui remet également en question l’essence même de l’humanité à travers la haine et la brutalité qu’il génère. Elle s’est tournée vers une Amérique en quête d’expansion dans « Démineurs ». Et dans le cas de « Zero Dark Thirty », la vengeance intervient en première ligne. Le point culminant de ses récentes œuvres reste la notion de justice. Elémentaire, impartiale, passive ? Il y a tant d’adjectifs qui peuvent définir ce pilier si instable et si imprévisible, venant d’une société où le système de justice et de respect est compromis.
Nul besoin de revenir sur les grandes lignes de l’Histoire, mais un bref historique s’impose. Depuis l’esclavage des noirs, la condition du peuple défavorisé devient l’objet de nombreux débats. La Guerre de Sécession est un reste un patrimoine culturel qui a encore de l’impact sur l’ouverture d’esprit d’aujourd’hui. Malgré cela, le drame présenté se déroule au nord, là où la plupart fuyait la ségrégation. Les conditions économiques les rattrapent alors, mais l’urbanisation également. Leur regroupement leur a permis d’installer un micro système afin de préserver une culture solidaire. Et au-delà de cette surface, on y trouve de la peur. Cette sensation induit ainsi la révolte qui s’ensuit.
Une fois la trame principale initiée, Bigelow consacre toute sa narration dans les faits et perd un point de vue intellectuel, essentiel à la sensibilisation. La morale à elle seule ne convainc pas suffisamment pour porter un discours blanc au sommet du plan sociétal. On omet d’évoque l’activisme noir avant le soulèvement de Detroit. Ce sont des détails d’une grande importance, alors que l’on contextualise la situation uniquement par le biais d’images d’archive. La terreur est à l’écran, mais elle reste superficielle face à la réalité des choses. Ce qui s’est passé à l’Algiers Motel n’est qu’un exemple méconnu, où le doute persiste sur les circonstances dramatiques qui en résultent. Tout l’art est de rendre compte de ce rapport malaisant à la violence, très bien maîtrisé par Bigelow. Nous faisons face à un cas de racisme primaire, vulgaire et choquant. Il se pourrait que les blancs d’aujourd’hui ne soient pas prêts à affronter une réalité qui passe aux oubliettes. Le fait d’avoir déterrer tout cela est une forme de provocation médiatique, succédant à celle exercée Martin Luther King.
Le cas de force de l’ordre abusant de leur pouvoir pour répandre la terreur n’est qu’un cas isolé dans ce récit peu abouti. La réalisatrice ne scrute que la surface des faits sans en tirer tout le potentiel qu’ils dégagent. La communauté noire n’est pas explicitement montrée. On se permet de développer des individus noirs à la place, laissant plus de place à la profondeur humaine. Le choix est justifié et un huis-clos se met en place, étouffant les victimes d’un drame pourtant arbitraire. Tout le propos se concentre sur une bavure policière dont les réactions sont contrastées. D’une part nous avons des membres du groupe Dramatics qui n’évoque pas plus de charme qu’on l’aurait souhaité. D’autre part, le groupe de policiers blancs, auteurs des actes dramatiques qui demeurent intouchables jusqu’à l’acte de trop. On extrapole aisément la situation à toute personne avec une arme braquée sur la tempe. Lorsque notre vie est en jeu, on réagit différemment bien entendu, mais tout se recoupe au niveau de la peur que l’on ressent et c’est là que tout le mépris et la motivation raciste prend son envol.
Bigelow possède de bonnes intentions et nul n’en doutera. La maladresse se ressent dans la facilité d’écriture qu’elle emprunte, sachant ses compétences qu’elle a pu développer. « Detroit » marque tout de même le pas et signe un discours malaisant, ne laissant qu’une communauté blanche perplexe et mal dans leur peau. Le caractère extrémiste des personnages y est pour quelque chose, ainsi que cette mise en scène si immersive et si forte émotionnellement. Malgré cet effort, l’ensemble ne tient pas sa composition en place et on passe souvent à côté de quelque chose de plus percutant, de plus grande ampleur. On souligne tout de même un profond respect contre l’oppression, à l’image de la séquence d’ouverture patrimoniale. On en ressort frustrer, certes, mais le visionnage aura le mérite d’être efficace, malgré la clôture survolée selon quelques aspects scénaristiques.