Un réalisme bien artificiel.
Singer le style documentaire en recourant à la caméra portée, mêler les images d’archives au récit pour insinuer l’idée d’une continuité entre les évènements mis en scène et la réalité historique, sont des moyens sûrement efficaces pour persuader le public d’une adéquation du récit au réel. Néanmoins, le caractère toujours fugitif, insaisissable, immaitrisable de la vérité est balayé par un récit trop structuré pour paraitre authentique.
Ce qui me gêne dans ce film est sa façon de multiplier les signes de fidélité au réel tout en le simplifiant à outrance, en lui ôtant sa consistance et sa complexité. Plus précisément, le film me parait trop maitrisé, ciselé et univoque pour ne pas donner une impression de fausseté dans sa description des évènements de 1967.
Le film se construit de façon très schématique en trois temps. Premièrement, il s’agit de proposer une vision générale des évènements de Détroit tout en esquissant rapidement le portrait des trois principaux protagonistes de l’histoire. Cette première partie a pour but de replacer les évènements de la deuxième partie (la perquisition et séquestration à l’hôtel) dans un contexte historique qui en est la cause et les explique.
Le deuxième moment du film est, suivant cette logique, la résultante d’une situation explosive, tendue. Or, si cette deuxième partie peine à fonctionner, c’est avant tout parce que le film ne s’est pas embarrassé de nuances dans sa description du policier blanc Philip Krauss.
En effet, le début du film le montre tirant sans trembler sur un « pillard » apeuré qui prenait la fuite. Malgré les remontrances de sa hiérarchie, il reproduit le même geste dans la deuxième partie du film. Ainsi, là où ses méthodes, sa « tactique », ses meurtres de sang-froid auraient pu être reliés au contexte historique, ils sont au contraire perçus comme une caractéristique inhérente à sa nature. Pour cette raison, son inhumanité n’est pas montrée comme une conséquence de la situation historique, comme l’expression passagère d’une folie meurtrière, comme un évènement malheureux dans un moment chaotique, mais comme un trait de sa personnalité. Cela a pour conséquence de minimiser l’influence du contexte historique là même où la première partie avait pour charge d’en rappeler l’importance.
Ce vulgaire méchant fait que la deuxième partie, qui était censée exprimer le Tout (la violence policière, les tensions sociales et communautaires, le racisme, l’angoisse) est ravalée au rang de simple fait divers. En un sens, il l’ « anecdotise ».
Cela ne serait pas en soi un problème si cette caractérisation grossière du personnage n’avait pour conséquence de jeter un voile de suspicion sur l’ensemble des dialogues prononcés dans le film.
En effet, tout parait alors manquer de subtilité, comme si le rôle des personnages était purement fonctionnel, sans vérité, juste au service d’un discours (pensons au policier blanc qui apparait tel un ange pour emmener le personnage à l’hôpital et dont la fonction est de contrebalancer l’image trop négative que le spectateur pourrait se faire de la police). Les différentes réactions face aux violences (réactions de rejet, d’approbation tacite, de fuite) donnent le sentiment d’être là pour remplir un cahier des charges, d’être un moyen de se prémunir contre d’éventuelles critiques et de diminuer le risque d’empiéter sur des sensibilités faciles à heurter. Cette volonté trop appuyée de nuancer apparait paradoxalement sans nuance, lourde et artificielle.
La troisième partie du film cherche alors à capitaliser sur le sentiment d’indignation née des deux premières. Mais là encore, les ficelles paraissent trop grosses : le policier noir est inquiété, tout semble penser qu’il devra porter le chapeau. Or cela n’est pas du tout développer par la suite. Il s’agissait juste d’un artifice pour provoquer un sentiment de dégout, et tant pis si cela passe outre les règles de vraisemblance. Au procès, un seul parti a le droit à la parole, afin de marteler aux spectateurs l’idée que la justice ne sera pas rendue. Ces facilités scénaristiques s’opposent en tout point au réalisme dont se réclame le film, qui aurait sûrement consister à se montrer un peu moins directif et unilatéral dans sa façon de convoquer et de faire naitre des sentiments.
Ce manque de vraisemblance est par ailleurs caractéristique de la deuxième partie du film. J’ai en effet trouvé assez peu crédible que la jeune fille blanche, persuadée que deux de ses compagnons viennent de se faire froidement exécutés puisse garder un tel calme lors de son « interrogatoire », et que personne n’ait à un moment l’idée de parler du faux pistolet ou tout simplement de dire la vérité, dans la mesure où le « tireur » s’est déjà fait abattre et ne risque plus d’être inquiété…
A ce manque de vraisemblance, s’ajoute aussi un manque d’intérêt pour les personnages, trop brièvement présentés dans la première partie. Il en résulte que les séquences apparaissent comme de purs moments de brutalité interminable. Si je ne suis pas partisan des jugements de valeurs alignés sur une grille de lecture morale, j’ai tout de même été gêné par la façon dont le film essaye de nous torturer en nous prenant en otage émotionnellement, quitte à installer une forme de connivence malsaine avec les policiers (certains rires ont retenti dans la salle lorsque l’on se rend compte qu’un des personnages a réellement été exécuté là où cela devait être une tactique d’intimidation). Finalement, la volonté d’horrifier, de susciter de la tension et de la crainte pour la vie des protagonistes est tellement évidente qu’elle ne met que davantage en lumière le peu d’attaches et de liens émotionnels qui nous relient à eux. En conséquence, la torture n’est pas celle que l’on éprouve lorsque l’on compatit pour le sort des personnages, mais celle qui nous oblige à assister à des scènes de violences longuettes, répétitives et ennuyeuses qui nous sortent du film en nous révélant trop ostensiblement les mécanismes par lesquels il essaie de susciter nos émotions.
Pour résumer, je dirai que le film échoue à créer une impression de réalité. Le caractère artificiel, trop méthodique, rhétorique, directif, de l’ensemble, la façon trop évidente de nuancer en recourant à des personnages fonctionnels qui sont eux sans nuances, desservent le film. Le fond et la forme paraissent en permanente contradiction, et nuisent à l’immersion dans une œuvre qui manque cruellement d’idées.