Kathryn Bigelow est une réalisatrice qui a pour ainsi dire, une carrière très hétérogène. Ayant débutée dans les années 80, elle aura su offrir quelques films cultes au fil des années comme son Near Dark ou encore l'incontournable Point Break. Mais il faut reconnaître que encore jusqu'à aujourd'hui, elle s'est toujours imposée comme une cinéaste de son temps suivant la mouvance des modes de l'époque, ce qui a pour cause de rendre son cinéma très impersonnel. Elle a su développer quelques thèmes qui lui sont chers notamment sur les relations de pouvoirs, souvent abusives, exercés sur les opprimés avec des personnages en plein processus de rébellion. Néanmoins, malgré des compétences indéniables en terme de réalisation, elle reste la metteuse en scène des époques qu'elle a traversée de la période bikers en cuir des années 80, le style série B des années 90 début 2000 au cinéma vérité qui régit un peu l'époque des années 2010. Il devient donc assez aisé de restituer ses films dans l'époque où ils ont été fait car ils apparaissent comme des produits directs de celles-ci, ce qui fait que certains ont aujourd'hui sacrément vieillis.
Ce n'est pas nécessairement préjudiciable mais cela marque bien la manière donc Bigelow travaille son cinéma et finalement s'impose comme une réalisatrice qui aura mis du temps à atteindre sa maturité, son cinéma étant radicalement différent aujourd'hui que celui de ses débuts. En ça, elle a une façon de faire très proche de celle de son ex-mari, James Cameron. C'est en 2008, alors qu'elle collabore pour la première fois avec Mark Boal, un scénariste, qu'elle transcende son cinéma pour offrir son meilleur film, The Hurt Locker. Gagnant une foule d'Oscars par la même occasion, ce qui est historique pour une réalisatrice, elle prenait finalement de l'avance sur son époque avant d'être rattrapé par celle-ci avec son film d'après, Zero Dark Thirsty. Toujours avec Mark Boal au scénario, il tombait dans les travers du cinéma vérité malgré une réalisation toujours impeccable. Mais le duo ne s'est pas arrêté là et viennent collaborer une nouvelle fois dans ce Detroit qui se montre plus saisissant que leur précédente collaboration mais qui enferme définitivement Bigelow dans les parois du cinéma vérité.
Il y a d'ailleurs quelque chose d'assez méta, même si c'est involontaire, de voir ces personnages pris en otages dans un hôtel sans pouvoir en sortir de la même manière que Bigelow se retrouve enfermée dans sa démarche. Techniquement le film est irréprochable mais il manque d'une vision. Filmé caméra à l'épaule et se voulant très proche des acteurs, Detroit se révèle à double tranchant car cette approche permet de faire du cœur du film, cet abus de pouvoir policier sur des personnes noires qui se transforme en prise d'otages dramatique, un moment insoutenable d'intensité et de tension qui se révèle brillant mais qui en dehors de ça manque d'impact. Le premier et le dernier tiers en sont finalement quelconque et ne se justifie de manière aussi marquante et maîtrisé que le second tiers. Parce qu'avec cette approche, la réalisatrice s'intéresse avant tout au fait divers qu'à l'humain et que même si l'impact face à cette violence est bien là, l'émotion peine à montrer le bout de son nez. Le film est donc très didactique, et cette façon de s'effacer semble sans doute nécessaire pour laisser parler les événements d'eux-mêmes mais sur la durée le procédé s'essouffle considérablement.
L'intensité reste bien là, et l'heure et demi que l'on passe avec ses personnages enfermés dans l'hôtel dans une situation qui dégénère de manière terrifiante est un morceau de cinéma qui se doit d'être vu par tout ce qu'il véhicule psychologiquement mais aussi physiquement pour voir ce que beaucoup on subit à cause du racisme. Mais c'est finalement la demi-heure après cela qui pose problème et qui se montre accessoire, ce qui devait être dit avait été dit et le message en aurait été d'autant plus fort si il n'avait pas été dilué dans une conclusion trop longue et confuse. Surtout qu'elle met aussi en relief les quelques défauts d'écritures, les personnages étant finalement très peu développés et que même si l'absence de manichéisme est bienvenu, il manque vraiment d'une couche émotionnelle qui rend cette conclusion caduc. Et ce malgré d'excellents acteurs qui signe tous des performances denses et nuancés notamment Will Poulter, exceptionnel en ordure finie, et Algee Smith très bon dans son interprétation fiévreuse.
Detroit est une expérience nécessaire et brillamment tenue lorsqu'elle nous plonge dans l'horreur du racisme au sein d'une séquence viscérale et insoutenable qui nous prend en otages tout autant que ses personnages. Malheureusement, la réalisatrice et le film sont aussi victime de cette séquence et de sa démarche à tel point que ce qui précède et suit celle-ci peine à apporter quelque chose. Pire, la fin dilue le propos et la force de ce qui avait été montré, terminé sur un choc aurait été plus judicieux. Mais le film reste néanmoins nécessaire, car il brasse des thèmes importants et il le fait sans jamais tomber dans le manichéisme ou le misérabilisme. Il porte un regard juste et précis sur son sujet et il sait se montrer impressionnant à travers la réalisation et du casting. Même si Kathryn Bigelow montre qu'elle manque ici d'un vrai regard, elle signe un film beaucoup plus marquant que son précédent et qui sait, in fine, se faire une place de choix dans sa filmographie.