Sous l’éclat du baroque, l’ombre du grotesque s’étire : ici, le pouvoir n’a ni noblesse ni majesté, il se joue à huis clos, dans l’alcôve et les corridors. La reine Anne (Olivia Colman) n’est pas un monarque, elle est un trône vide, une plaie qui suinte, un corps régnant malgré lui. Face à elle, Sarah Churchill (Rachel Weisz) et Abigail Masham (Emma Stone). Entre ces trois femmes, un jeu cruel s’esquisse, une guerre sans épée où chaque regard est une morsure, chaque sourire un piège.
Dans The Favourite, la monarchie n’est plus qu’un simulacre, un théâtre où l’histoire s’écrit au gré des caprices d’une reine. Anne est un corps à l’agonie, traversé par la douleur, lesté par la mémoire de ses enfants morts-nés. Sa chair tuméfiée devient le miroir d’un royaume en décomposition, gouverné non par la volonté, mais par l’influence de celles et ceux qui chuchotent à son oreille.
Lánthimos filme les corps comme des territoires conquis, des champs de bataille où s’impriment les luttes. La reine Anne chancelle sous son propre poids, corps souffrant. Sarah est une silhouette taillée à l’épée, droite, inflexible, maîtrisant chaque geste comme un soldat sa parade. Abigail, elle, est malléable, souple comme un serpent, s’insinuant dans les interstices du pouvoir jusqu’à en épouser la forme.
Dans ce monde où tout se joue sur une courbure de l’échine, Lánthimos érige l’ironie en arme absolue. Les dialogues fusent, acides, cruels, entrecoupés de silences où l’humiliation suinte comme une plaie mal refermée. La cour est un cirque où l’on danse de travers, où l’on court après des canards, où le grotesque affleure sans jamais ôter au drame son tranchant.
Les hommes, eux, sont des silhouettes secondaires, perruques poudrées et dignité ravalée.The Favourite n’a que faire du faste du biopic royal : il en dénude les rouages, exhibe l’absurde d’un pouvoir qui n’existe qu’en creux, dans le jeu d’influences et de rivalités mesquines.
Toutefois, quelques choix semblent gratuits et certaines séquences paraissent en excès, mais dans l'ensemble, ce tragi-comique ne me laisse pas indifférent.
Lánthimos signe avec The Favourite une fable cruelle où l’ascension et la chute ne sont que les deux faces d’un même leurre. Derrière les robes somptueuses et les dorures, il n’y a que des âmes corrompues par le jeu, des figures enfermées dans leurs propres stratégies, des monarques réduits à des marionnettes pathétiques.