Le mépris (1963), un drame de Jean-Luc Godard
Le film est une adaptation d’un roman d’Alberto Moravia, avec Michel Piccoli, Brigitte Bardot, Jack Palance et Fritz Lang dans son propre rôle.
« C’est merveilleux le cinéma : on voit des femmes, elles sont en robes, elles font du cinéma et crac ! on voit leur cul », réplique Piccoli à Capri, dans la villa de l’écrivain Curzio Malaparte, qui donne au moins autant le vertige que les échanges entre Piccoli (Paul) et Bardot (Camille, son épouse), deux personnages aussi manipulateurs l’un que l’autre (et l’un l’autre), qui n’appellent guère d’empathie.
Camille finit par quitter Paul et choisit de rentrer à Rome avec Palance (Prokosch) avec lequel elle flirtait sous les yeux d’un Paul qui avait œuvré, sciemment et consciemment, à cette fin : « Montons dans votre Alfa, Roméo », rit-elle.
Entre temps l’intrigue est maigre, le réalisateur privilégiant le néant interminable des postures théâtrales et figées qui font penser aux cadres de Hopper, les moues boudeuses et les gestes artificiels, des dialogues évanescents, sous couvert de modernisme et de liberté. C’est la révolution des cinéastes de la Nouvelle Vague des années 50-60-70, à la fois scénaristes et réalisateurs, qui s’inspirent davantage de la réalité de la vie que de la littérature, et dont on retient davantage les silhouettes et visages iconiques que le propos de leurs oeuvres.
Godard, Truffaut et les autres deviennent les « Jeunes-Turcs » du cinéma, des dictateurs qui se positionnent sur toute la chaîne de création d’un long-métrage et se présentent comme des révolutionnaires. Ils prennent le pouvoir au cinéma comme d’autres Jeunes-Turcs avant eux ont pris le pouvoir de l’Empire ottoman sous couvert des valeurs de la Révolution française et au prix de massacres, spoliations, viols ; au prix de femmes devenues des esclaves sexuels, objets à la manière de Bardot dès la première scène du film, si célèbre dans le détail de sa superbe plastique qui la résumera au cinéma et dans la vraie vie, jusqu’à ce qu’elle prenne à son tour le pouvoir : militante animaliste et féministe, deux causes qui lui doivent tant d'avancées.
L’un de ces Jeunes-Turcs en particulier deviendra emblématique : Atatürk, le « père des Turcs » qui ne dénonce pas « un cinéma de papa » mais affiche ses ambitions nationalistes au prétexte de progressisme et de laïcité, sur les cendres d’un génocide des Arméniens.
Ces Jeunes-Turcs, qu’ils s’emparent de manière arbitraire du cinéma ou de territoires, s’emparent aussi de devises (liberté, égalité, fraternité) avec un sens du respect à géométrie variable.
Plus près de nous, Caroline Champetier, directrice photo reconnue du cinéma d’auteurs, s’est exprimée dans Télérama du 14 février 2024 qui présentait son mea culpa dans un contexte #Metoo #Metoocinema. Madame Champetier "distingue les « jeunes Turcs » de leurs successeurs.Godard, Truffaut et consorts ont révolutionné la façon de faire des films. Ceux qui sont arrivés juste après n’ont eu qu’à régner. Mais c’est en train de se retourner contre eux. Présente sur le tournage de La Reine Margot (1994), une actrice qui souhaite rester anonyme se souvient de la manière dont Patrice Chéreau érotisait le rapport de domination. Le soir, il était comme un animal séducteur entouré de sa cour de jeunes acteurs. Certains en sont ressortis terriblement abîmés."
Ce que j’ai trouvé abîmé, c’est « Le mépris » de Godard, surtout dans sa version renumérisée en 4K Ultra HD comme un miroir grossissant. Cette diffusion est utile pour remettre les pendules à l’heure, au creux d’une époque qui tend vers l’équité, la justice et l’équilibre. Elle est aussi merveilleuse pour écouter la musique de Georges Delerue, inégalable. Peut-être est-ce le compositeur, la véritable icône du cinéma Nouvelle Vague et que l'important c'est de l'aimer sans condition, lui.